Captain Fantastic
2016
Matt Ross
Passé de festivals en festivals, le film a glané quelques prix à Cannes et Deauville avant d’enfin pouvoir arriver dans nos salles de cinéma où il fut très chaleureusement accueilli. Succès assez confidentiel avec tout juste dix millions de dollars dans le monde faute de distribution d’envergure, le film a pourtant reçu des critiques exceptionnelles et aurait pu être un challenger de poids pour les Oscars, mais il n’a finalement eu qu’une nomination pour son acteur principal et ses chances de remporter la statuette sont quasi nulles. Pourtant, on tient là l’un des films les plus édifiants de l’année.
Quand on pense à ce à quoi ressemble une vie aux Etats-Unis, on s’image la petite maison de banlieue bien tranquille et tout ce qui va avec, mais certaines personnes rejettent ce style de vie. Ben (Viggo Mortensen) et sa femme avaient ainsi décidé d’élever leurs enfants (incluant George Mackay) loin de notre monde capitaliste, fourbe et formaté, prônant un retour aux choses simples de la vie. Vivant dans une cabane perdue au milieu des bois, ils se nourrissent de la chasse et de la cueillette, font communion avec la nature et s’éduquent eux-même. Une situation qui leur allait très bien, jusqu’au jour où la mère – hospitalisée depuis quelques temps – décéda.
Dès que l’on se met à penser différemment, on nous traite de fou, de sectaires, d’extrémistes ou de fanatiques. Chacun d’entre nous semble programmé pour mener une vie de con, faisant ses études, galérant ensuite pour trouver un boulot, le garder et y gravir les échelons pour pouvoir fonder une famille, leur garantir la sécurité matérielle et rembourser consciencieusement son prêt immobilier, voir pourquoi pas s’offrir une belle voiture et partir de temps à autre en vacances. Dit comme ça ça donne envie de se flinguer, et pourtant c’est ainsi que 99% des gens des pays « développés » conçoivent leur morne existence. Que serait alors une vie en communion avec la nature où l’humain et les sentiments seraient au cœur de toute chose ? On découvre ainsi une famille atypique, rebutante aux premiers abords, mais les barrières tombent les unes après les autres. Dans notre monde consumériste où le gaspillage alimentaire est colossal, voir une famille qui lutte contre, en trouvant elle-même ce dont elle a besoin, sonne exemplaire. On se pose aussi des questions sur l’éducation, se demandant si celle a domicile est suffisante et si elle ne gène pas la socialisation, mais on constate très vite la supériorité en tous points des enfants, donnant lieu à une scène magnifique où une fillette de huit ans met sa misère à deux lycéens en culture générale. Les choix éducatifs qu’on y découvre sont assez déroutants mais quand on constate les résultats et qu’on y réfléchit très sérieusement, on prend conscience de leur pertinence. Dire la vérité en toutes circonstances peut parfois choquer, amusant l’être taquin qui sommeille en chacun de nous, mais ce courageux choix décuple l’authenticité des sentiments qui lient cette famille.
Véritable claque idéologique qui remet en cause notre style de vie, le film n’est pas qu’une simple source d’inspiration. Si le scénario n’est que prétexte pour nous montrer un art de vivre en totale opposition avec le monde moderne, l’écriture du film force le respect. Alors même que la famille monoparentale comporte six enfants, trois garçons et trois filles, chacun d’entre eux a une personnalité bien marquée et un rôle important dans l’histoire. La ressemblance physique et la qualité du casting renforcent la crédibilité de cette famille, donnant un impact de grande ampleur au film. Même en terme de réalisation le film est excellent, montrant le monde sous le regard plein de vie et coloré de nos sept aventuriers, conférant à l’image une poésie aussi singulière que le point de vu défendu, sans pour autant renier totalement le monde « civilisé ». On en ressortira néanmoins avec un certain regret : celui de ne pas avoir vu développer le choc culturel avec une découverte poussée de cet autre monde. Qu’importe, ce brillant film anti-système fait voler en éclat nos principes étriqués de citoyens sous xanax et ça fait un bien fou.