Ad Astra
2019
James Gray
Rarement un film n’aura autant divisé : acclamé par la presse, snobé par les spectateurs. Un écart monstrueux entre les premiers criants au chef d’œuvre et les seconds très mitigés, la faute à une campagne marketing ne reflétant pas le style véritable du film. Vendre un film contemplatif comme du grand spectacle n’était pas forcément très intelligent, mais il n’est pas évident de rentabiliser un film de science-fiction pur au budget premier de 80 M$, qui d’après les analystes se situerait aux alentours de 150 M$ après les reshoots et le marketing de Disney, ayant racheté le studio d’origine. Et effectivement, le désastre fut total : à peine 127 M$ de recettes dans le monde, soit environs 55 M$ nets, donc une perte sèche frôlant les 100 millions. Et face au désamour du public, les Oscars ont snobé le film, pourtant autrement plus ambitieux et aboutis que la totalité des nominés réunis.
L’histoire se situe dans un futur « proche » alors que la Terre a été frappée par une surcharge électro-magnétique de grande ampleur. Information classée top secret, la source pourrait être la base expérimentale « LIMA » en orbite autour de Neptune, officiellement sans signe de vie depuis plus de 20 ans. Mais tout porte à croire que l’explorateur légendaire Clifford McBride (Tommy Lee Jones) serait encore en vie et responsable de la surcharge, et d’autres sont à prévoir. Plus à même de prendre contact avec lui et devenu à son tour astronaute émérite, son fils Roy (Brad Pitt) sera chargé de se rendre sur la base martienne, seul endroit capable d’émettre jusqu’à la base de recherche LIMA.
En un mot comme ne cent : claque. Ce film est une claque. Dès la première scène le ton est donné avec une construction incroyable, le calme quasi robotique du héros et une sensation de réel hallucinante. Pour se donner un ordre d’idée, on est sur le niveau de réalisme d’un Gravity ou d’un Interstellar. La comparaison ne s’arrête pas là puisque le film est raconté d’un point de vue humain, montrant l’immensité vide de l’espace, le danger de conditions extrêmes, et ce confinement, cet isolement à vous rendre fou. L’accomplissement du film est juste dingue tant le résultat à l’écran est prodigieux, se hissant parmi les plus dignes représentants du genre. À ceci près que les installations sur les planètes semblent trop spacieuses et les longs couloirs d’improbables gâchis de ressources, sans compter une gravité artificielle un peu trop arrangeante dès qu’on passe en intérieur (sur les planètes, pas dans l’espace), le reste semble avoir été très bien étudié. On pourrait aussi chipoter sur les échelles de temps et la pousse des poils et cheveux, mais globalement on sent que tout a mûrement été réfléchi. Le film regorge de trouvailles comme la base lunaire, la salle de transmission ou les costumes en général, et on pourra souligner l’excellente idée de l’IA dans la navette vers la lune qui a la même voix que dans Mass Effect, un clin d’œil magnifique pour les amoureux d’aventure spatiale. Si l’histoire est avant tout le rite initiatique d’un fils marchant sur les traces de son père à la découverte de soi, on croisera quelques personnages à l’importance modérée, incluant sa femme (Liv Tylor) et un ami de son père (Donald Sutherland). Le film arrive donc à aborder des thèmes très humains dans un grand univers froid, amenant énormément de propositions passionnantes, tant sur le plan scientifique que philosophique. Qui dit film contemplatif dit rythme assez lent, mais contrairement à un 2001 l’odyssée de l’espace, il se passe beaucoup de choses où tout est utile, permettant de jamais décrocher un seul instant. L’exercice est donc un tour de force du genre, et pour peu qu’on ait le regard tourné vers les étoiles, le film nous offre un voyage incroyable.