Le Secret de Brokeback Mountain


Le Secret de Brokeback Mountain
2006
Ang Lee

Grand classique du cinéma, je suis passé à côté pendant près d’une décennie, la faute à une certaine étroitesse d’esprit : une histoire d’amour homosexuelle peut-elle réellement me parler si je ne partage pas les mêmes attirances ? Eh bien avec les années, je me suis rendu compte que je tolérais bien les bobos gauchiasses sur YouTube ou que je pouvais apprécier le travail d’artistes ô combien détestables dans la vraie vie, donc après tout pourquoi pas. Surtout que le parcours du film a de quoi forcer le respect : une pléthore de prix et nominations dans toutes les principales catégories de toutes les prestigieuses cérémonies, des retours dithyrambiques, et un succès en salle peu commun, avec près de 177 M$ dans le monde avec une longévité comme on en voit pas deux par décennie.

L’histoire prend place en 1963 aux Etats-Unis, alors que Ennis Del Mar (Heath Ledger) et Jack Twist (Jake Gyllenhaal) sont engagés pour l’été à surveiller le bétail d’un important éleveur possédant plusieurs milliers de bêtes et craignant les attaques de prédateurs. Plusieurs mois durant à braver le froid, les tempêtes et l’ennui : voilà qui rapproche les gens, voir éveiller en eux des choses qu’ils ne pensaient pas avoir. Simple moment d’égarement le temps d’un été ? Quatre ans plus tard, les deux hommes se sont chacun rangé, ayant tous deux épousé une femme (Michelle Williams et Anne Hathaway respectivement), mais quand l’heure des retrouvailles va sonner, des sentiments plus profonds vont resurgir.

Plus qu’une histoire d’amour, c’est aussi un témoignage d’une époque, d’une mentalité. Si aujourd’hui l’homosexualité n’est ni un tabou ni un crime, il n’y a pas si longtemps, les choses étaient bien différentes, et au moindre risque d’ébruitement, on risquait sa vie. Un danger palpable, rendant toute pulsion irrémédiablement refoulée, avec la frustration voir la dépression qui en découle. Les années filent et se ressemblent, avec de trop rares moments de bonheur, à se voiler, se cacher le reste du temps, gardant avec soi cette souffrance. Les acteurs sont prodigieux, arrivant à véhiculer tellement d’émotion sans le moindre mot, avec une mention spéciale pour le regretté Heath Ledger qui avait un talent ahurissant, capable d’une justesse inouïe dans tous les registres. On notera également les présences de Anna Faris, David Harbour et Kate Mara.

Il faut bien sûr parler des décors, de cette Amérique profonde, ce retour au sauvage qui permet d’éveiller sa vraie nature. La mise en scène arrive à rendre intimiste des immenses panoramas, montrant que malgré un monde si vaste, ce qui importe c’est avec qui on arpente cette Terre. Le choix d’étaler sur plusieurs décennies l’histoire pose en revanche deux problèmes : ne pas voir la situation évoluer rend communicante la frustration des protagonistes, et le maquillage est trop effacé, voir raté. A aucun moment on ne croit que les acteurs ont prit 20 ans, au point que quand la fille arrive sur la vingtaine à la fin, on dirait qu’elle a presque le même âge que son père. C’est le seul point qui m’aura déçu, sinon tout le reste est d’une grande maîtrise, avec des personnages forts, attachants et très bien écrits. Si la nostalgie nous gagne quand on regarde en arrière, voilà un des rares exemples positifs de notre société moderne.

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