Les Dix commandements

Les Dix commandements
1956
Cecil B. DeMille

Au rayon des monuments du cinéma, voici une pièce de maître. Le film se classe sixième de l’histoire au box-office américain en terme de nombre d’entrées, et fait probablement parti du top 10 mondial si les 14,23 millions d’entrées françaises sont représentatives de l’impact phénoménale du film. Tout simplement prodigieux pour un auto-remake, le réalisateur s’étant justement fait connaître à ses débuts en 1923 avec une première version de ce conte biblique, mais l’histoire n’était traitée que dans sa première moitié, la seconde étant consacrée à une contextualisation des valeurs morales véhiculées à « notre époque » (ça va bientôt faire un siècle mine de rien). Péplum au sens grandiose du terme, le film consacrera cette fois ses 3h40 au seul récit de la vie de Moïse.

La mer qui s’ouvre en deux, le vieux barbu qui descend la montagne, les deux stèles des Dix Commandements : c’est ici que ça se passe. Voici dont l’histoire d’un personnage central dans nombre de religions, Moïse (Charlton Heston), qui aurait vraisemblablement vécu au septième siècle avant Jésus Christ. Né d’une famille hébraïque (juive), il fut sauvé des eaux par la fille du pharaon qui le recueilli comme son fils, sa mère biologique ayant du l’abandonner suite à un décret visant à tuer chaque nourrisson hébreu, l’un d’eux devant devenir, d’après un mythe, le messager de Dieu qui les délivrera de l’esclavage, leur peuple étant en effet la propriété des égyptiens. On suivra donc ses querelles avec son frère et fils légitime du pharaon (Yul Brynner), qui refuse de se voir déposséder d’un trône qui lui est dû, de même que son cheminement vers Dieu.

Dire que ce film a 59 ans, c’est juste fou. Soulignons tout d’abord le travail remarquable de restauration de la Paramount, qui a réussi à rendre à nouveau ce film spectaculaire, nous offrant une image nette, sans bavure, presque sans grains, aux couleurs éclatantes, à la résolution très haute, et même le son a profité d’une restauration complète pour une immersion optimale. Les rageurs diront toujours qu’une refonte des effets spéciaux n’aurait pas fait de mal tant toutes les manifestations divines frisent le ridicule (bien que suffisants pour gagner l’Oscar), mais alors les amoureux authentiques auraient crié au scandale, voyant leur œuvre chérie dénaturée. Dans tous les cas, aujourd’hui encore nous pouvons saluer le travail colossal du film, ayant fait appels à une dizaine de milliers de figurants pour certaines scènes, et n’ayant pas hésité à reconstituer des décors titanesques pour un réalisme accru. Le sentiment de grandeur est entier, et malgré de trop nombreuses incrustations sur fond vert impropres pour des effets de transitions ambitieux, l’impact visuel du film est toujours aussi fort, et on ne peut qu’imaginer le choc de l’époque. Pour se faire une idée, compte tenu de l’inflation et du budget record du film de 13 M$, le coût actuel d’une telle production serait de 210 M$, soit moitié plus que la dernière version en date, Exodus : Gods and Kings, qui a d’ailleurs, même sans tenir compte de l’inflation, rapporté moins que son aîné (donc approximativement dix-huit fois moins d’entrées pour un budget pesant pour les deux-tiers). Et enfin, pour terminer avec des éloges amplement méritées autour de son visuel, le film impressionne aussi de par la richesse et la diversité des costumes, allant de pair avec des maquillages très convaincants, réussissant avec brio l’âpre tâche du vieillissement.

Parlons maintenant du reste, avec quelques points fâcheux. La première moitié du film, qui compte en réalité pour 2h15 de temps, nous rassure amplement sur le possible caractère désuet du film, car malgré une Nefertiti agaçante et un Yul Brynner décidément très mauvais acteur, on découvre une histoire intéressante, pleine de grandeur, d’enjeux, et avec un héros extraordinaire, mais rien de surprenant vu son interprète, Charlton Heston, à qui l’on doit nombre de films majeurs qui reposent en grande partie sur lui. Une « origin story » très bien faite, et globalement le rythme est parfaitement maîtrisé. Mais le bilan se nuance quelque peu lors de la seconde partie, qui bascule complètement dans le religieux. Dès la première scène à la montagne, la déception nous gagne et ne nous lâchera plus jamais vraiment. Moïse se transforme alors, et irrémédiablement, en une espèce de gourou planant complètement, nous bassinant à grand renfort de discours et de morale discutable. En gros, Dieu est un connard, qui a d’abord ri un bon coup en voyant la souffrance des juifs, puis qui a décidé de faire très mal à leurs oppresseurs, prouvant que Dieu n’est pas amour, mais haine. Tout tourne alors autour d’une morale biaisée qui ne sonne jamais comme une justice, et notre Moïse sombre dans une caricature d’hippie à la con, sans compter le déluge d’effets spéciaux carrément datés. Grâce à certains personnages secondaires comme le fidèle Josué ou cet enfoiré jubilatoire de Dathan, on reste relativement impliqué dans l’histoire, mais il est clair que le tournant religieux est mal fait et largement en dessous du reste. Un film épique et impressionnant, qui n’a pas tellement vieilli, mais son message n’est pas terrible, et son aspect religieux bancal.

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