Joker

Joker
2019
Todd Phillips

Alors que le MCU explose sans cesse tous les records, chez DC la situation était catastrophique entre des gadins critiques et commerciaux, de même qu’un univers étendu complètement bancal qui est tantôt abandonné, tantôt ressuscité. Projet auquel personne ne croyait, cette origin story sur l’adversaire le plus iconique de Batman partait très mal. Changeant une quatrième fois d’interprète pour le fameux rôle du clown de Gotham, le film est aussi réalisé par un spécialiste de la comédie pas très fine, à qui l’on doit notamment Very Bad Trip. Pas un mauvais film, loin s’en faut, mais quand il s’agit d’offrir une histoire sombre sur un tueur fou, le choix paraissait douteux. Même avec une bande-annonce sympathique, on y croyait toujours pas, puis vint l’impensable : une consécration à la Mostra de Venise, festival qui donne souvent le ton pour les grandes cérémonies, et le film surpris son monde en glanant le prix d’interprétation (le lion d’or) pour le rôle principal, de même qu’une nomination dans la catégorie meilleur film. A l’approche de la sortie un succès surprise se dessinait, mais rien ne pouvait laisser présager un tel raz-de-marrée : plus d’un milliard de dollars au box-office mondial, chose totalement inédite, non seulement pour un film classé R (interdit aux mineurs non accompagnés aux Etats-Unis), mais aussi pour un film au budget si « ridicule » (55 M$). Le film est donc proportionnellement le plus gros succès de l’année, avec en prime des critiques exceptionnelles et une position de favori pour les prochains Oscars.

Assez oubliable dans le Batman de 1989, décevant voir gênant dans Suicide Squad mais absolument incroyable dans The Dark Knight, le personnage du Joker nous revient dans une nouvelle version, celle d’Arthur Fleck (Joaquin Phoenix), un homme à moitié fou à force de vivre dans la solitude et la misère avec sa mère malade. Ses seuls moments supportables dans sa terne vie sont quand il croise sa sublime voisine (Zazie Beetz) ou quand il regarde l’émission de Murray Franklin (Robert De Niro), se rêvant à devenir humoriste un jour. Suite à une mauvaise journée, il basculera un peu plus dans la folie.

J’ai mit pratiquement un mois entier à sortir cette critique tant il est difficile d’émettre un avis différent sur ce film sans se faire lyncher par une armée de fans dénués d’objectivité. Saluons tout de même le succès sans précédent du film, qui est de toute façon une excellente chose tant le film sort des carcans habituels. Par rapport aux grosses productions actuelles et passées, le film dénote clairement en terme de rythme et d’ambiance, et savoir que ce type de cinéma si différent peut à ce point parler à la masse est réconfortant pour ceux n’osant plus proposer quelque chose d’autre que la formule classique. Ne serait-ce que pour la diversité dans le paysage cinématographique, le succès du film est une chose dont même ceux qui n’ont pas apprécié le film peuvent se réjouir. D’autant que le film a beaucoup de qualités.

Outre la performance irréprochable de l’acteur principal (et des autres aussi, globalement la direction d’acteur est parfaite), bien que pas à ce point mémorable non plus, le film ose une ambiance très sombre avec une mise en scène très esthétisée. Nombre de plans sont très beaux, la photographie est soignée et le film se laisse le temps de la contemplation. De ce point de vue là, le film est une franche réussite. Reste malheureusement deux soucis de taille : le rythme et le scénario. S’étalant sur deux heures, le film est d’une mollesse difficilement supportable tant il ne se passe pas grand chose, la faute à un scénario qui ne tient pas sa promesse, à savoir raconter les origines du Joker. Maintenant que le film est sorti avec le succès qu’on lui connaît, les langues se délient et on parle d’une suite voir d’une trilogie, mais à l’origine le film devait se suffire à lui-même, et ce n’est pas le cas. À la fin du film, Arthur Fleck n’est pas devenu le Joker et reste une pauvre chose encore bien timorée. Le tueur sanguinaire et psychopathe est bien édulcoré, fébrile face à un chaos ambiant bien plus menaçant que lui. L’évolution attendue n’est pas là, le film n’est qu’une simple mise en bouche à la violence quasi inexistante. Un comble. Peu de péripéties, un seul personnage vraiment développé mais à l’évolution pratiquement inexistante. En résulte une esquisse où il ne se passe pas grand chose, et on reste sur notre faim. Alors oui, le film est très bien fait et casse pas mal de codes du genre, sans pour autant apporter une proposition forte. L’ombre du Joker du Dark Knight plane au dessus du film, et clairement il ne tient pas la comparaison.

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