Le Tigre et la neige
2005
Roberto Benigni
De vagues souvenirs me hantaient sur un homme insupportable mais touchant pour l’une des plus belles romances jamais vues. Et pourtant, le film marqua la fin de la carrière de cinéaste de l’acteur italien et fut un sévère échec sur tous les tableaux. Après son très acclamé La Vie est belle (près de 230 M$ dans le monde), il obtint un budget conséquent de 30-35 M$ selon les sources, mais les critiques furent assez tièdes, la distribution difficile voire inexistante hors Europe, et au final le film a rapporté moins de 25 M$. Certes, il y a près de deux décennies de ça les ventes physiques étaient près de trois fois supérieures à ce qu’elles sont actuellement, et plus le temps passe plus un film s’amorti avec les rediffusions télé, donc pas de quoi s’alarmer, mais clairement le film méritait mieux.
Ah l’amour… Attention spoiler, mais il le faut, car s’il l’on peut aimer plusieurs femmes au cours de sa vie, il ne peut y avoir qu’un seul grand amour. Pour Attilio (Roberto Benigni), c’est la mère de ses enfants, Vittoria (Nicoletta Braschi), dont il est séparé désormais, mais qu’il aime toujours et essayera de reconquérir jusqu’à sa mort s’il le faut tant son amour pour elle est éternel. Ecrivant un livre sur le poète Fouad (Jean Reno), Vittoria était partie le suivre à Bagdad pour boucler la biographie, mais c’était justement le moment où la guerre en Irak a éclaté, et cette dernière fut grièvement blessée durant l’assaut américain. N’écoutant que son cœur, Attilio va tout faire pour la retrouver et la sauver.
Le film aurait pu être l’une des romances les plus touchantes et bouleversantes jamais réalisée, et elle l’est sur bien des points, mais le film a aussi de lourds défauts. Si en réalité le personnage d’Attilio est bien plus sympathique que dans mes souvenirs, avec notamment son cours virevoltant sur la poésie, pendant la quasi entièreté du film, son amour pour Vittoria manque de développement, de contexte. Pour le spectateur, elle n’est que potentiellement une ancienne amante qui se joue de lui et dont l’attirance semble surtout physique. Il faudra attendre la toute fin pour qu’on comprenne que celle qu’on prenait pour son ex femme était en fait une nounou, et que la Vittoria en question est en réalité son ex femme, et d’ailleurs femme du réalisateur depuis une trentaine d’années maintenant. Certes, le film fait exprès de ménager cette surprise, mais c’est en réalité une erreur tant le savoir nous aurait fait d’autant mieux comprendre son amour et sa dévotion, qui jusque-là passaient plutôt pour du harcèlement très lourd et déplacé. De fait, tout ce qui se déroule avant l’arrivée en Irak est assez poussif, et le moyen d’y aller est tellement génial qu’on aurait aimé que ce passage très drôle soit plus développé et encore plus dans l’excès. De même, on regrettera que le personnage de Fouad soit si peu développé, nous empêchant de pleinement comprendre ses motivations.
Pour autant, le film est grand et profondément beau. On parle tout de même d’un homme qui ne cesse d’être repoussé par son ex femme, mais qui continue de se battre inlassablement pour elle, au point de risquer sa vie en partant au beau milieu d’une guerre pour sauver sa moitié. Et c’est sur place que le plus dur sera à faire, devant se battre pour trouver de quoi la soigner et l’aider dans un champ de ruine où tout le monde se bat pour sa survie. L’abnégation à son paroxysme, la veillant nuit et jour quand il ne coure pas entre les balles pour trouver de quoi la soigner. Et la fin est juste magistrale, quoi que manquant un peu de finesse sur tous les set-up pay-off. Entre le tigre, les oiseaux, la réplique sur l’amour qui revient, le collier : le film n’avait pas besoin d’en plus y rajouter la révélation sur la mère. En faisant le choix de le dire d’emblée, on serait passé de rêves de pur fantasme et de drague à la limite de l’agression à quelque chose de plus naturel et romantique. Ce n’est plus une inconnue qui le fait baver, mais la mère de ces enfants qu’il ne cessera jamais d’aimer. Une belle ode à l’amour et à la persévérance, mais avec si peu de changement, le film aurait pu être bien plus fort.