Les Chatouilles


Les Chatouilles
2018
Andréa Bescond, Eric Métayer

Un peu passé inaperçu lors de sa sortie en salles avec moins de 400 000 entrées, le film a pourtant reçu de nombreux prix par la suite, dont meilleur adaptation et actrice secondaire aux Césars, et globalement la qualité de la réalisation, du scénario et le casting en général ont largement été salués. J’ai longtemps hésité avant de me plonger dans ce récit, pensant que si le film n’avait pas su déplacer les foules, c’était peut-être que son si grave sujet n’était pas traité assez durement ou efficacement. En réalité, c’est probablement l’inverse : que la violence du sujet a sévèrement freiné les potentiels spectateurs, qu’importe la qualité, au contraire même si la fiction se rapproche trop de l’horreur de la vérité.

On suivra le parcours d’Odette (incarnée par Andréa Bescond une fois adulte), qui restera profondément marquée par un événement traumatisant de son enfance. Depuis ses huit ans environs et pendant plusieurs années, alors qu’elle habitait encore chez ses parents (Karin Viard et Clovis Cornillac) avant de partir pour le conservatoire de danse, elle fut régulièrement violée par le meilleur ami de la famille, un certain Gilbert (Pierre Deladonchamps), quadragénaire, marié et père de trois enfants. Un choc terrible qu’elle tentera de surmonter avec une psy (Carole Franck).

Le titre fait référence à la technique de manipulation terrible qu’exercera le prédateur sur une petite fille sans défense, ne comprenant pas ce qu’il se passe, sous l’emprise d’un adulte censé représenter une figure de confiance, et qui s’en servira pour assouvir les pires pulsions. Le genre de manipulation qui fait tristement écho à certains scandales récents comme l’affaire Norman, à base de pervers narcissique, abusant de sa position et contrant les rejets par des « fait pas ta gamine » faisant froid dans le dos. Et ici l’horreur est plus violente encore de par le statut très très jeune de la victime, bien loin de toute notion de puberté. Et le film osera pousser les choses très loin, montrant clairement à l’écran les actes de viols, allant bien plus loin que de simples « chatouilles ». Juste monstrueux.

Pour ce qui est du film au delà de ce point, essentiel et fort, on sera un peu en dents de scies, tout en retombant sur nos pattes. L’optique du film est de montrer à quel point ce traumatisme aura marqué Odette, l’empêchant d’avoir une vie normale à cause du stresse, des angoisses, de son point de vue ayant pour point de départ une enfance brisée. De fait, c’est encore plus violent que de voir la petite fille devenir une racaille droguée, alcoolique, faisant absolument n’importe quoi avec sa vie. Usant, mais nécessaire pour montrer l’impact, puis le chemin de reconstruction. Car oui, si certains ne s’en remettent jamais, d’autres peuvent s’en sortir, notamment par la parole, par avouer ledit traumatisme. Un chemin de croix commençant donc par les séances avec la psy, trouvant régulièrement sur sa route de belles personnes comme Grégory Montel, décidément exceptionnel, débordant d’humanité et de bienveillance dans tous ces rôles. Alors oui, on ne voulait pas la voir sombrer adulte, ce sont des passages affligeants du film, mais nécessaires pour l’ensemble.

Il faut donc parler de la reconstruction, accepter ce passé enterré, caché comme une honte, alors même que la victime n’a fait que subir. C’est dire le niveau de violence psychologique qu’engendre ce genre de violence physique. Comme le début est cru et fait plus que suggérer les atrocités, le dernier acte ira au bout de la démarche, ne laissant donc pas le spectateur frustré, ce qui est parfois un partit prit pour montrer que la vie est injuste et tout ne se règle pas toujours. Un parti prit que j’aurais détesté, étant jusqu’auboutiste, mais ce n’est heureusement pas le cas. On dit souvent qu’un film se juge sur ce qu’il nous fait ressentir, et qu’un mauvais film est un film qui ne provoque rien en nous, si ce n’est l’ennui. Eh bien on peut dire qu’on ressent énormément de choses tout du long : peur, angoisse, frustration, énervement, colère, indignation, exaspération, le spectre est large. Comment ne pas être fou de rage face au comportement abject de connasse snobinarde de la mère notamment ? Un rôle qui effectivement va tellement bien à Karin Viard, et tout le casting excelle dans l’ensemble. Un sujet essentiel, pas évident à encaisser et le film ne sera pas tendre avec le spectateur, s’attardant très majoritairement sur les abysses de l’humanité, donc soyez prévenus.

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