Kingdom Hearts : The Story so far
2019 – PS4
Tetsuya Nomura
La saga Kingdom Hearts est à la fois un bordel scénaristique et logistique, mais surtout une expérience narrative assez unique qui a largement été saluée pour la nervosité de son gameplay et son concept assez fou. Pour ceux qui dorment dans le fond, la franchise repose sur une combinaison de deux univers : Disney et Final Fantasy, la rencontre entre un cinéma ayant bercé l’enfance de beaucoup, et un savoir-faire vidéoludique légendaire à l’origine d’une grande partie des meilleurs JRPG de l’histoire.
C’est ainsi qu’en 2002 naquit Kingdom Hearts premier du nom, sous l’impulsion de Tetsuya Nomura, proposant les aventures de Sora, un garçon de douze ans ayant été choisi pour être un porteur de la Keyblade, arme en forme de clé permettant entre autre d’ouvrir les âmes des gens, au propre comme au figuré, d’ouvrir des passages entre les mondes, et surtout de lutter contre la menace des sans-cœurs, créatures nées à partir de gens ayant succombés aux ténèbres. Un premier pas fort sympathique, permettant de revivre les plus grands classiques des films d’animation Disney, et qui donnera naissance à un univers des plus riches qui n’a eu de cesse que de s’étoffer en attendant un troisième opus qui s’est fait attendre durant 14 ans.
Et justement, c’est tout le sujet du jeu dont il est question aujourd’hui : The Story so far. Car avant d’enfin découvrir Kindgom Hearts III, sorti en 2019, une compilation a vu le jour (bien qu’elle soit arriver après coup en France, avec un an de retard sur les Etats-Unis) pour permettre aux joueurs de tout connaître de l’univers en amont. Si les deux premiers opus numérotés sont sortis en 2002 et 2005 sur Playstation 2, le reste aura été un joyeux bordel : Chain of Memory, faisant le lien entre le 1 et 2, est sorti sur Gameboy Advance, Coded, exploration du métavers du journal du premier opus, est sorti uniquement au Japon sur téléphone avant d’avoir un premier remake sur Nintendo DS, 358/2, retraçant l’entre deux du point de vue de l’Organisation XIII, est lui aussi sorti sur Nintendo DS, puis le préquel Birth By Sleep est sorti sur PSP, et enfin Dreams Drop Distance, l’opus de transition entre le 2 et 3 est sorti sur Nintendo 3DS, retraçant l’examen de maître de Sora et Riku, sans compter les autres jeux sur téléphone. C’est donc tout simplement une demi-douzaine de consoles qu’il fallait avoir pour tout connaître des jeux principaux. Un casse tête improbable, d’où l’intérêt d’une compilation, là aussi compliquée. Ce n’est pas moins de quatre compilations qui ont vu le jour : I.5, II.5 et II.8, puis The Story so far qui réuni les trois compilations sur trois Blu-ray mais dans une seule boîte.
I.5 reprend un remaster HD du premier Kingdom Hearts, toujours bon à prendre, avec quelques retouches appréciables sur la gestion de la caméra, et c’est de fait la version Final Mix, jamais sortie en dehors du Japon. Seulement voilà, bien que sur la dizaine de jeux sortis, seuls les deux principaux ont bénéficié d’une VF, c’était là l’un des points forts jouant énormément sur l’immersion, et n’avoir qu’une version française doublée en anglais, c’est un énorme point noir. Qui montre à ses enfants les classiques Disney en VO ? Personne, tout le monde regarde en VF, d’autant que notre pays est probablement de loin le meilleur dans le domaine du doublage, de même que 90% des films vus en salle le sont en VF. Pour l’immersion dans un univers jouant à fond sur la nostalgie, c’est si dommage. Quitte à en parler, autant évoquer aussi le cas de Kingdom Hearts II : sans la voix de Patrick Poivé, l’univers de Tron perd beaucoup de son intérêt. D’ailleurs soyons francs, si vous possédez un PC solide, tous les jeux sont aussi sortis sur PC depuis, et les moddeurs ont rajouté la VF sur les deux premiers, donc si vous en avez la possibilité, autant en profiter, car la visite et l’immersion des mondes Disney est un des principaux plaisirs.
Toujours pour la compilation I.5, nous retrouvons le remaster HD de Re : Chain of Memory, remake de l’opus GBA fait avec le moteur graphique des opus PS2. Si le jeu a une importance cruciale dans le lore, expliquant pourquoi dès leur apparition dans Kingdom Hearts II la moitié de l’Organisation XIII est déjà morte, le jeu était surtout un exploit sur console portable, avec une 2D magnifique, mais le passage en 3D moderne enlève tout l’intérêt au titre, qu’on sent bâclé du fait qu’il soit à l’origine un bonus cadeau de la version Final Mix de Kingdom Hearts II. Le dernier « jeu » présent sur la première compilation est en réalité une compilation de cut-scènes de 358/2, un jeu là encore fou techniquement pour sa console d’origine, très sympa à jouer, mais au scénario anecdotique. Autant se regarder un résumé rapide sur Internet.
La seconde compilation II.5 est sans nulle doute la plus intéressante. Jeu incroyable encensé par tous, Kingdom Hearts II est disponible dans une version 4K magnifique, le jeu ayant si bien vieilli grâce à son style cartoon enfantin, et les apports de la Final Mix sont tous excellents, permettant de redécouvrir l’un des jeux les plus aboutis, si efficace dans sa mise en scène, l’exploration des mondes en deux temps. Alors bien sûr, l’absence de VF est un crève-cœur, mais comme le III n’a pas de VF et que le IV n’a pratiquement aucune chance d’en avoir une, autant se revoir tous les Disney en VO puis se reforger de nouveaux souvenirs…
On passera sur le « jeu » Recoded en version uniquement cinématiques, déjà pas passionnant avec sa notion de Di, doubles numériques des personnages, nous perdant déjà entre la personne de base, sa possible version sans-cœur s’il a cédé aux ténèbres, sa version simili si sa personnalité était trop forte pour « mourir », d’autant que si un sans-cœur est libéré et le simili détruit, la personne d’origine peut revenir à elle, d’autant que l’apparence physique peut varier, de même que le nom.
Le troisième disponible est autrement plus intéressant : le remaster HD de Birth By Sleep, meilleur jeu de la PSP à l’ambition folle, qui reste encore très fun à jouer et dont l’importance narrative est primordiale. On y voit les notions d’héritage de la Keyblade, l’origine du croisement de tous les destins des porteurs, de la nature première de Xehanort, antagoniste ultime de tout cet univers, et l’idée d’une narration en trois parties, se complétant à mesure que l’on effectue les trois histoires, c’est une idée géniale. Avec un système de mixage gratifiant, une chasse aux commande jouissive, sans avoir l’envergure qu’il devrait, c’est à la fois un jeu primordial dans la mythologie, et un jeu super fun à parcourir, malgré le manque d’intérêt des univers parcourus.
La dernière compilation est la II.8, au bilan assez mitigé. On trouvera tout d’abord le remake HD de Dreams Drop Distance, l’opus 3DS sur l’examen de maître de la Keyblade de Sora et Riku. Un opus très important dans la mythologie, immanquable même tant ses répercutions sont légions entre un retour stupéfiant, une autre nouvelle recrue, puis surtout toute l’importance de la fin avec cette boîte de pandore dangereuse qu’est le voyage dans le temps. Toute la dernière partie du jeu est épique à souhait, dantesque et posant les bases de la suite, mais le jeu dans son ensemble a plus de mal à convaincre. Des mondes moins mémorables, des interactions limitées, un sentiment de perte de temps puisque l’on ne fait que se balader dans les rêves. Un jeu toujours cool à jouer, mais qui sent trop le feeler de remplissage, et on préférera se voir un résumé vidéo pour mieux se concentrer sur des jeux plus ambitieux.
Teasé comme une démo technique servant d’introduction au si attendu KHIII, II.8 propose surtout le fameux Fragmentary Passage, faisant suite à Birth By Sleep. On y suit ainsi Aqua, tentant de se retrouver dans les ténèbres et les mondes oubliés. Génial sur le papier, ça ne reste qu’un errance de 2h tout au plus, au gameplay assez bridé, répétitif, et surtout visuellement inquiétant. Oui, les décors sont incroyables, mais ne collent pas du tout avec la direction artistique de la licence, les personnages ont un effet plastique enlevant leur âme, et même Sora semble avoir changé de voix. Passablement inquiétant pour la suite, mais heureusement, d’après ce que j’ai cru voir, KHIII est sensiblement différent. De quoi tout juste raccrocher les wagons, ajoutant toujours plus de poids sur les épaules d’un KHIII monde qui devra tout recouper.
Enfin dernier à tous niveaux, Black Cover est un film d’animation d’une heure réalisé sous Unreal Engine 4 pour raconter le jeu sur téléphone X Chi du point de vue des Oracles. Une catastrophe à tous les niveaux tant le résultat est inutile et frustrant : que des personnages masqués dont le visage ne sera jamais révélé, des mystères jamais expliqués pour une intrigue inutilement complexe et confuse, rajoutant de nouvelles migraines avec une notion de commencement des temps.
Que retenir de tout cela ? Que mise à part éventuellement le premier Kingdom Hearts encore soft en symbolique et mythologie, la saga ne s’adresse décidément pas aux enfants mais plus leurs parents nostalgiques des anciens Disney, et surtout globalement ceux qui aiment les scénarios torturés sur la nature même de la vie, avec une bonne grosse dose d’adrénaline pour les combats. Sur ce, après avoir consacré deux mois entiers à revoir et découvrir les pièces encore inconnues d’un immense puzzle, il est temps de confronter KHIII aux 14 ans d’attentes (15 pour moi, ayant découvert le second en 2009 et rattrapant le retard cinq ans après) et une dizaine de jeux ayant amplifié le mythe. Autant dire que la pression est totalement surréaliste et ne sera très certainement pas totalement comblée, voir loin s’en faut, mais sachons raison garder.
Edit : dès l’introduction, Kingdom Hearts III m’a donné tort, Black Cover aura en réalité une importance cruciale, les notions de destins et de la Keyblade qui voit tout semblent au cœur du récit dans une cité des Dieux à se damner, laissant entendre de sacrées claques esthétiques.