Blade Runner 2049

Blade Runner 2049
2017
Denis Villeneuve

Grand classique de la SF qui a bluffé son monde de par ses effets spéciaux prodigieux pour l’époque ainsi que de par la créativité poussée de son univers, Blade Runner s’est progressivement érigé au rang de film culte, notamment au travers de sa version « final cut » (remontage dix ans après la sortie) qui fait loi. Il faut dire qu’entre l’atmosphère surprenante du film, très sombre et faisant appel à des musiques psychédéliques mémorables, et l’ascension fulgurante de la carrière d’Harrison Ford, venant d’enchaîner deux monuments du cinéma, Star Wars et Indiana Jones, toutes les planètes étaient alignées pour en faire un immense succès. Pourtant, sans être non plus un ratage total, avec seulement 27 M$ aux Etats-Unis lors de sa sortie initiale (et probablement aux alentours de 45-50 M$ dans le monde) l’heure n’était pas à la fête et personne ne se serait douté que 35 ans plus tard une suite pointerait le bout de son nez, surtout pas avec un budget ahurissant de 185 M$ (150 M$ après réductions d’impôts). Plus encore, aussi imaginatif que fut le premier, il n’en restait pas moins trop philosophiquement superficiel et son histoire n’était qu’une enquête sommaire prévisible, et l’idée d’une suite pouvait laisser perplexe. Certes confié à Denis Villeneuve, automatiquement propulsé comme génie absolu de la SF avec l’étourdissant chef d’œuvre Premier Contact, le film va tout de même pulvériser toutes nos attentes.

Alors que l’action du premier film se déroulait en 2019, nous voici propulsé en 2049, trente ans après. Suite aux incidents opposant les humains aux répliquants (clones humains robotisés censés servir d’esclaves), plus exactement le modèle Nexus 6, l’intégralité des modèles furent rappelés pour être détruits, ce qui a conduit à une baisse de productivité telle qu’un gigantesque black out obligea le monde à revoir tout son fonctionnement. L’entreprise fabriquant les répliquants ayant fait faillite, c’est désormais un certain Niander Wallace (Jared Leto) qui a reprit l’affaire, mais remplacer un parc entier de serviteurs, non seulement au niveau mondial mais aussi sur les colonies, prend beaucoup trop de temps et une productivité basée sur l’ancien modèle ne suffit plus. Si les répliquants pouvaient se reproduire, les perspectives sur le long terme seraient phénoménales, mais les recherches n’aboutissent pas. Nouveau modèle de répliquant jugé sans risque, l’agent K 2.6 (Ryan Gosling) va faire une découverte qui bouleverserait l’ordre établi lors d’une de ses missions de Blade Runner (ceux chargés de localisé et éliminer les anciens modèles Nexus, dirigés par Robin Wright) : le corps d’une répliquante qui aurait pu avoir un enfant. Si cela s’avérait exact, ce serait une catastrophe pour le gouvernement qui justifie l’utilisation d’humains de synthèse comme esclaves sous prétexte d’une incapacité émotionnelle et reproductrice, tandis que pour l’entreprise de Wallace cette potentialité pourrait être son patient zéro.

Première séquence, première claque historique. On survole des kilomètres et des kilomètres de cultures sous serre avec un vrombissement faisant littéralement trembler les murs dolby atmos, nous immergeant d’emblée entre les sons puissants qui ponctueront le film, l’ambiance sombre parfois glaçante, l’envergure vertigineuse des décors et le mystère planant. Quelques secondes s’écoulent et les questions se bousculent déjà : qui est le pilote de l’appareil, pourquoi vient-il dans un endroit pareil, qui se cache derrière la combinaison (Dave Bautista) et que cultive t-il ? Malgré le fait que Blade Runner ait déjà posé les bases de cet univers, on semble le redécouvrir à chaque plan, à l’image de la pyramide qui passe d’impressionnante à spectaculaire. Exit les maquettes réalistes qui faisaient leur effet à une époque révolue, grâce à une technologie plus au point que jamais chaque plan est iconique, immersif et artistiquement dingue. Les décors donnent d’eux-même le tournis, mais le film sublime les images avec une mise en scène grandiose et des jeux de lumière colossaux. En prenant le pari de prendre son temps et de se poser comme contemplatif à l’occasion, affichant une durée de 2h40 sans pour autant paraître long une seule seconde, le film permet aux décors de parler d’eux-même, certaines visions se passant de commentaires. On en ressort estomaqué, le souffle coupé par une qualité visuelle sans précédent : une nouvelle référence ultime.

Mais le film n’est pas qu’une simple épopée visuelle fantastique dans un univers transcendant, c’est aussi une enquête passionnante et sombre abordant une multitudes de thèmes très profonds. Reprenant le style du premier film en traitant le thème de la nature humaine face aux simulations potentiellement plus humaines que nous, l’histoire première est une investigation sur la face sombre de notre civilisation, mais dans les deux cas le concept est bien plus poussé. Jouant sur les à priori du spectateur, le film nous balade de piste en piste, nous persuadant d’avoir toutes les cartes en main alors même que la vérité sera tout autre. Des rebondissements jamais gratuits pour une construction bien plus subtile qu’il n’y paraît, mais là encore à l’image du premier film l’intérêt se porte davantage sur les thèmes annexes, notamment la nature de la vie. Un organisme créé en laboratoire a t-il une âme ? Une machine peut-elle avoir des sentiments ? Et peut-on à la fois avoir une âme et des sentiments quand on est dépourvu d’enveloppe charnelle ? Le plus bel écho de ces thèmes nous viendra du personnage de la compagne artificielle Joi (Ana de Armas). Si sa technologie holographique s’explique parfois difficilement, son personnage est sans doute le plus intéressant de tous : une IA attachante qui tente d’humaniser un répliquant. On prendra une triple claque philosophique, sensorielle et technique avec la séquence impliquant la prostituée (Mackenzie Davis), véritable prouesse artistique, scénaristique et mécanique. La synchronisation marquera définitivement les esprits.

Un film viscéral, stupéfiant de la première à la dernière image, porté par des acteurs exceptionnels, une histoire immense, un univers vertigineux, un son puissant qui prend aux tripes et dont on en ressort complètement secoué. Espérons qu’après en démarrage en demi-teinte le bouche à oreille en fasse un énorme succès car la porte reste grande ouverte pour un éventuel Blade Runner 2052 après un Dune (prochain projet de Denis) qu’on imagine déjà colossal puisque coup sur coup son réalisateur vient de nous livrer deux chef d’œuvres majeurs. Monsieur Villeneuve, merci.

Ce contenu a été publié dans Cinéma, Critiques. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *