Bac Nord


Bac Nord
2021
Cédric Jimenez

Monde de merde, le film. A force on le sait bien que le monde est pourri jusqu’à la moelle, on ne va d’ailleurs pas forcément au cinéma pour qu’on nous le rabâche, mais il est important de pointer du doigt les plus grands travers qui gangrènent notre société. Tiré d’une histoire vraie, le film a été l’un des deux premiers à atteindre la barre symbolique des deux millions d’entrées en France en 2021 dans le contexte du cauchemar sans précédent pour les salles qu’est le covid, puis le passe sanitaire et enfin le passeport vaccinal. Un exploit qui a électrisé les foules et suscité un large débat, de quoi attiser la curiosité, même en étant habituellement hermétique au genre policier.

L’histoire remonte en 2012 alors que le préfet de Marseille, préparant probablement une réélection ou autre, a voulu faire un gros coup de pub en nettoyant un peu sa ville, l’une des pires au monde en termes de trafic de drogue, d’armes, blanchiment d’argent, racket, vol, viol, détérioration de bien publiques, et meurtre dans la plus grande impunité. L’honnête citoyen n’y a plus sa place, tout n’est que misère et désolation dans un décor en ruines. Mais pour le trio de choc de la Bac Nord, Greg (Gilles Lellouche), Antoine (François Civil) et Yass (Karim Leklou), hors de question de baisser les bras, s’il faut faire le sale boulot, ils répondront présent.

Reste t-il quoi que ce soit à sauver de Marseille ? Chaque rue, même le vieux port, est délabrée au possible. La ville est sale, pleine de détritus, taguée de partout, et les bâtiments tombent en ruines. La misère est-elle plus belle au soleil ? Non. Comme un respirateur artificielle pour un vieillard centenaire en étant de légume, la police ne sert à rien, camouflant un cadavre déjà bien putride et rongé par les vers. Les truands se baladent en bande, masqués, armés, et n’ont pas peur une seconde de la police car ces derniers sont impuissants, moins nombreux et moins bien équipés, et contrairement aux premiers, intrépides et habitués à s’entretuer, eux ont des familles et ont peur de mourir. Le respect a disparu depuis des générations, les enfants caillassent les voitures et volent sous couvert d’être intouchables car mineurs, et les grands font leur trafic au grand jour, intouchables. De temps à autres des opérations tentent de secouer les fourmilières, mais il suffit d’une sous-merde d’ordure comme El Blancos pour trahir les siens et frapper ceux qu’on devrait célébrer.

Le film aurait pu être un « simple » constat effroyable de la cité faussé-haine, doublé d’un excellent film d’action au rythme parfaitement maîtrisé – et avec deux actrices particulièrement talentueuses : Adèle Exarchopoulos et Kenza Fortas – pendant ses 75 premières minutes, mais ce aurait été un portrait incomplet d’à quel point le monde est pourri jusqu’à l’os. Là où beaucoup auraient simplement conclu avec un petit épilogue, le film nous offre un quatrième acte relançant l’histoire sur une autre forme de pourriture : le système et ceux qui l’appliquent. Si la loi est mauvaise et empêche de faire respecter l’ordre, doit-on la changer ? Oui, mais il est tellement plus simple d’obliger les personnes les plus dévouées à se sacrifier pour ensuite les blâmer. Un système d’ordures bureaucrates, et au final tout n’est communication et marketing, car au fond que ce soit Marseille ou toutes les grandes, chacune possède ses quartiers de désolation, de non droit où la police n’est plus en mesure d’intervenir, ou si peu que les bienfaits sont immédiatement balayés. Et plutôt que de le dire, le film montre l’ampleur de la désolation, la violence de la frustration, l’amertume du mépris et de la couardise. Un tour de force de mise en scène et d’efficacité sur une réalité tout sauf agréable à voir, mais importante à comprendre.

Ce contenu a été publié dans Cinéma, Critiques. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *