Le Procès Goldman
2023
Cédric Kahn
L’exercice de style qu’est le film de tribunal est une scène de théâtre où l’art oratoire est maître, où le charisme est un impératif du métier. Nombre de films du genre ont été d’immenses succès artistiques, notamment récemment avec la claque des Sept de Chicago, qui trouve là un sacré challenger dans le domaine du procès. Une année décidément exceptionnelle pour le cinéma français que la cuvée 2023.
Affaire qui avait secoué l’actualité des années 70 en France, le film s’intéresse à l’histoire vraie derrière le procès pour divers méfaits, notamment un double assassinat de deux jeunes pharmaciennes en 1969, dont le suspect était Pierre Goldman (Arieh Worthalter), un révolutionnaire et malfrat notoire. Reconnu coupable et condamné à perpétuité en première instance dans ce qu’il dénonce comme un simulacre de justice, il compte bien faire éclater la vérité avec la deuxième instance.
N’étant pas né à l’époque, je n’avais jamais entendu parlé de cette affaire, dans le fond assez « banale » : un braquage qui tourne mal, deux témoins éliminés, selon la partie civile, et un odieux double meurtre bien gratuitement attribué au premier malfrat venu sans l’ombre d’une preuve ou d’une vérité selon la défense. Certes, on parle d’un juif proche du mouvement révolutionnaire cubain, d’accointance avec des noirs des DOM-TOM, avec d’un certain point de vue le débat sur une forme d’antisémitisme et de racisme, mais c’est extrêmement secondaire, voir hors sujet. On est plus sur du délit de sale gueule, de petit con dont les méfaits ont tellement fatigué les forces de l’ordre que l’occasion de le foutre au trou était trop belle. Mais il semblerait que les années l’aient calmé, transformant le jeune turbulant avide de chaos en un homme confirmé, cultivé et jubilant de cette tribune pour en faire sa scène politique. Un personnage haut en couleurs, radical, qui n’a pas sa langue dans sa poche, qui ose, qui bouscule le politiquement correct et tape là où ça fait mal. Entre le jeu extraordinaire des acteurs, outre le fameux Golman qui mériterait tellement de remporté son César pour lequel il est nominé et les maître Kijman (Arthur Harari) et le président juge (Stéphan Guérin-Tillié) presque aussi bluffant, et aussi l’écriture ciselée des tirades mémorables, les joutes verbales sont d’une puissance infinie. Avant le verdict, la réplique « je ne voudrais pas de moi qu’on dise que j’ai agi comme un juif déclarant implicitement que ceux qui ne sont pas juifs n’ont pas le droit de penser qu’un juif soit un tueur, et s’ils le pensent c’est qu’ils sont antisémites » est d’un tel impact et d’une telle honnêteté intellectuelle que l’admiration n’en est que plus grande. Pas un temps mort, pas un témoignage non percutant, le rythme est maîtrisé de bout en bout. Même la réalisation est d’une rare pertinence : un 4:3 très resserré sur les personnages, et un choix de pellicule à l’ancienne pour nous plonger dans l’époque. Une histoire prenante, des personnage forts, des acteurs parfaits, des dialogues d’une rare intensité : un niveau de qualité comme on en voit que trop rarement.