Moonlight
2017
Barry Jenkins
L’heure de vérité a sonné. Si en France on en avait pas beaucoup parlé, avec seulement trois cent mille entrées avant le sacre, le reste du monde était lui aussi largement passé à côté avec moins de 30 M$ avant l’événement qui changea tout, le prix le plus prestigieux de tous : l’Oscar du meilleur film de l’année. La curiosité était alors d’autant plus grande puisqu’en plus d’un prix d’interprétation pour le meilleur second rôle masculin, le film était aussi reparti avec l’Oscar du meilleur scénario adapté, alors même qu’en face on retrouvait l’un des plus grands films de tous les temps, Premier Contact. Si gagner un quelconque prix face à ce dernier est une hérésie pure et dure et dénote d’une étroitesse d’esprit maladive de la part de l’académie, on tient malgré tout un lauréat surprenant.
Récit en trois actes, le film va s’intéresser à trois périodes charnières de la vie d’un afro-américain qui a grandi dans une zone difficile de Miami et fut élevé par une toxicomane (Naomie Harris). Dans la première, Chiron a une petite dizaine d’années et trouve en la personne de Juan (Mahershala Ali) un point d’attache à un monde qui semblait jusqu’alors le repousser. On suivra ensuite l’évolution de son combat pour l’acceptation à travers deux époques, à 16 ans (Ashton Sanders) puis au seuil de la trentaine (incarné par Trevante Rhodes).
Ne faisons pas planer le suspens plus longtemps : le héros est gay, le genre de détail qui en rebute plus d’un et qui a conduit les spectateurs les moins tolérants à s’éloigner du film, pesant probablement sur la décision du jury l’ayant élu. Pourtant, si la narration en trois actes est très bien gérée (quasiment le même temps accordé à chacun) avec un casting formidable où le talent et la ressemblance physique se combinent, que la musique – nominée aux Oscars – est magnifique et que la réalisation est particulièrement soignée (couleurs éclatantes et focales grand-angle qui déforment l’arrière-plan), c’est parce que le héros est homosexuel que le film est si réussi. On a beau s’en douter, le voir est bien plus probant : être un noir tantouze dans un milieu craignos n’est pas une option envisageable. On constate toute l’hostilité qu’il peut en résulter, ressentant alors tout le désarrois que peut traverser Chiron, et voir les réactions de chacun et les solutions tentées est édifiant. Le talent des trois interprètes se partageant le rôle est admirable, créant un attachement malgré le rejet qu’on peut avoir face à sa nature, et on retiendra effectivement Juan, le charismatique mentor dont l’acteur qui y prête ses traits a reçu la consécration suprême. C’est brillant de justesse, on se sent impliqué et l’histoire nous prend aux tripes, alors ne laissons pas des à priori gâcher une belle leçon humaine et cinématographique.