Pas de vagues


Pas de vagues
2024
Teddy Lussi-Modeste

Statut de fonctionnaire, donc sécurité de l’emploi et meilleur régime de retraite, salaire correct et surtout les quatre mois de vacances par an qui font rêver (si on ne compte pas la préparation des cours). Et pourtant, le métier de professeur est l’un de ceux ayant le plus fort taux de démissions et de suicides, traduisant des conditions de travail exécrables. Il est loin le temps où le professeur était respecté de tous, noble profession suscitant gratitude et admiration…

Jeune professeur encore plein de rêves et d’espoir, contrairement à la plupart de ses collègues qui essayent juste de survivre, Julien (François Civil) aspire à être plus qu’un surveillant laxiste jonglant entre les attaques physiques et verbales au détour d’une copie dont la correction passerait mal. C’est alors qu’il fit l’erreur de sa vie : vouloir sympathiser avec ses élèves, emmenant au kebab les plus méritants et travailleurs. De fait, deux filles de la classe non invitées vont pousser une de leur camarade à accuser leur professeur d’avoir des envies pas très légales à son encontre. Une escalade va alors commencer entre une réputation de pédophile montante, une spirale de voir le mal partout, des menaces de mort et une hiérarchie inexistante n’ayant qu’un seul mot d’ordre : pas de vague.

Ce n’est pas pour rien si en animation ou chez les professeurs / instituteurs, la propension de femmes est largement supérieur à la moyenne : qui dit contact avec des enfants, dit paranoïa de la pédophilie, et donc stigmatisation de la gent masculine. Il est difficile de faire correctement son métier avec la peur que chaque geste, chaque parole soit prise de travers, et à l’inverse, pour les femmes d’autres difficultés pèsent sur ce métier, à savoir s’imposer physiquement face à des élèves de plus en plus dissipés, agressifs voir violents. Il est donc primordial de mettre en lumière ce quadruple abandon : les élèves qui n’en ont plus rien à faire, leurs parents qui eux-mêmes n’ont aucun respect, la direction / académie qui brillera toujours par son absence, et encore la justice, que ce soit celle de police ou celle publique des réseaux sociaux, qui se rangera inévitablement du côté de ceux qui gueulent le plus fort ou se révélera juste complètement inefficace. La mise en abîme de ce système défaillant sur absolument tous les points est effrayant, avec une récompense inversement proportionnelle au mérite ou à l’implication. A l’image de la collègue pourrie jusqu’à la moelle et qui cachetonne comme une fonctionnaire, le monde dans son ensemble est à vomir et les gens semblent d’accord avec le fait de laisser couler, presque de se délecter du spectacle d’un pays en ruine, dansant autour du feu. Seul point dommage, outre la morosité assez dure à encaisser, c’est le choix – enfin pas vraiment comme le réalisateur raconte sa propre histoire – d’avoir fait du personnage principal un homosexuel. Les thématiques sont intéressantes et bien traitées, mais le souci c’est que cela écarte d’emblée toute forme d’ambiguïté, ce qui aurait pu apporter un peu de sel à la situation. Reste aussi un dernier point assez frustrant : l’affaire n’est pas vraiment réglée à la fin. C’est comme les traumatismes de la vie, ça ne disparaît jamais complètement, il faut apprendre à vivre avec.

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