J’accuse


J’accuse
2019
Roman Polanski

Voici assurément la plus grosse polémique du cinéma français du moment : peut-on et doit-on séparer l’artiste de son œuvre ? Non dans la mesure où l’homme derrière l’artiste aide à comprendre son travail, mais quel que soit la vie de l’homme, cela ne doit pas nous empêcher d’apprécier son travail, d’autant que résumer un film à son seul réalisateur est une injure aux milliers de personnes ayant aussi travaillé dessus, surtout dans un film d’époque où la reconstitution des décors et des costumes est si importante. Après oui, quand le film reçoit le prix de la meilleure réalisation, cela ne récompense pas l’ensemble des personnes de la production, mais bien le réalisateur et uniquement lui. De ce point de vue là, lui décerner le prix ultime était une erreur, mais tâchons d’oublier cet incident plus exaspérant qu’important.

Le film nous place en 1894, alors que le capitaine Dreyfus (Louis Garrel) est reconnu coupable de traîtrise, déchu de ses grades militaires et exilé sur une île-prison. Pour le colonel Picquart (Jean Dujardin), c’était assurément une bonne nouvelle : la France se débarrassait de la vermine juive. Pourtant, après avoir récupéré le poste de directeur du service de renseignements de l’armée, il va faire une découverte troublante le faisant douter. Et si Dreyfus était innocent ? Et si le traître était encore dehors ?

Affaire à la portée historique, tout élève l’a forcément étudié au moins une fois au cours de sa scolarité, et assurément comme moi tout le monde ou presque a oublié l’entièreté de l’histoire. Une chance pour mieux apprécier les retournements de situation, et je n’en soufflerais donc mot. Néanmoins, avec le recul, je vois mal comment cette affaire a pu tant marquer. Des erreurs judiciaires, il y en a tous les jours, et contrairement à ce que d’aucuns auguraient compte tenu du harcèlement médiatique subit par son réalisateur, le parallèle s’arrête là puisque ce n’est pas spécialement le peuple mais surtout le gouvernement qui harcela le colonel Picquart. Pour ce qui est de l’antisémitisme, il n’est pas non plus si violent, se montrant plus culturel que viscéral. L’histoire en elle-même n’est donc pas si intéressante que ça, du classique à base d’enquête, de conspiration et d’honneur. Reste que le film a deux arguments de taille. Le premier et le plus évident est son casting, réunissant quantité de têtes plus ou moins connues : Laurent Stocker, Vincent Perez, Mathieu Amalric, Denis Podalydès ou encore Michel Vuillermoz pour les plus inspirés, et Emmanuelle Seigner, Grégory Gadebois et Melvil Poupaud pour les moins convaincants. On reconnaîtra aussi moult voix, des doubleurs de renom y ayant des rôles physiques. C’est sympathique, mais ça ne fait un film. Non, le vrai intérêt du film réside dans les dialogues, et aussi la force d’interprétation de Dujardin. On éprouve de l’admiration en entendant par exemple : « Je ne veux pas d’une nouvelle affaire Dreyfus. Ce n’est pas une nouvelle affaire Dreyfus, c’est la même ». Et comment ne pas être abasourdi par une telle prestance, un tel charisme quand résonne « C’est peut-être votre armée, mais ce n’est pas la mienne ». On peut aussi souligner le travail admirable sur les décors et les costumes. Clairement le film a eu les moyens de ses ambitions, quelques passages donnent le frisson, mais les enjeux peinent à dépasser le cadre humain, laissant dubitatif sur la portée historique des faits.

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