Jupiter : Le destin de l’Univers
2015
Andy Wachowski, Lana Wachowski
La filmographie des Wachowski est brillante par bien des points entre L’exceptionnel Matrix et le non moins extraordinaire Cloud Atlas, d’une rare ambition. Mais il y a aussi eu les deux suites décevantes de leur chef d’oeuvre de science-fiction et l’accident Speed Racer, ovni cinématographique passablement raté. Malheureusement celui-ci s’annonçait comme une nouvelle déception, nous proposant un Space Opéra dantesque mais profondément creux comme le laissait craindre la bande-annonce, axée sur une histoire d’apparence ultra cliché et des effets-spéciaux tapageurs. De plus, il n’est jamais bon signe de voir la sortie d’un film repoussée au dernier moment, comme ce fut le cas ici. Comme quoi, c’est malheureux d’avoir une campagne marketing aussi indigne.
Nous ne somme pas seuls dans l’univers, et seuls des aveugles ne s’en rendraient pas compte (à moins que ?). Pourtant, Jupiter (Mila Kunis) était loin de se douter de ce qui allait arriver du haut de sa petite vie médiocre d’immigrée femme de ménage.
L’univers est contrôlé par la fratrie Abrasax, exploiteurs de populations qui moissonnent des planètes pour en extraire un élixir de vie, offrant immortalité à qui peut se le permettre. Ayant fraîchement accueilli des colons humains, la Terre est une planète des plus prometteuses, propriété de Balem Abrasax (Eddie Redmayne), qui constate avec joie la prolifération des autochtones de millénaires en millénaires, bientôt prête pour la moisson. Pourtant, la légitimité de son droit sur la planète pourrait être remise en cause si une réincarnation de sa mère était identifiée, ce que Caine (Channing Tatum) a réussi à faire en trouvant Jupiter, copie génétique exacte. Un destin de reine de l’univers l’attend, mais nombreux sont ceux ne souhaitant pas son retour.
Donc non, le film n’est pas mauvais, loin s’en faut même. Il ne s’agit pas simplement d’un gros film de SF bourré d’effets spéciaux et nous contant une banale histoire d’élue. Oui, le film est une déferlante visuelle qui fait péter les compteurs (176 M$ de budget), ça envoie du lourd et tout, mais ça n’est pas totalement décérébré, sans non plus se prendre trop au sérieux. De l’ambition démesurée mais décomplexée. Le film essaye de répondre à presque toutes les questions possibles et imaginables, en apportant systématiquement une solution pertinente, tout en dispersant judicieusement les informations pour ne pas assommer le spectateur et lui laisser tout découvrir subtilement au fur et à mesure. Mais pour encore mieux faire passer le tout, en sachant en plus conserver une cohérence presque sans failles et un style particulièrement mature, une grosse dose d’humour a été rajoutée, mais largement supérieure à des films du genre comme Les Gardiens de la Galaxie. En effets, en plus de proposer du percutant comme le coup du « je suis plus proche du chien que de l’homme », le film ose faire des petits clin d’oeil aux croyances populaires, comme le coup des petits hommes verts qui nous manipulent, et ça passe formidablement bien. L’histoire est solide, faisant passer énormément de messages, abordant moult thèmes, et tout fonctionne très bien. Seuls regrets à ce niveau là : l’éternel problème de la gestion de l’espace. Combien de fois faudra t-il le répéter ? Il fait -270°C dans l’espace, et retenir sa respiration n’est pas suffisant, d’autant que ça n’enlève rien au soucis de la scène du mariage. Mais par rapport aux épopées galactiques classiques, on s’en sort quand même très bien.
Reste ensuite l’aspect visuel, largement mit en avant lors de la campagne publicitaire. Est-ce si spectaculaire ? Oui et non. De nos jours il devient de plus en plus difficile d’impressionner un spectateur lassé par la surenchère, mais quitte à comparer, on est encore une fois largement au dessus des Gardiens de la Galaxie. Le design est plutôt original, classe, et le bestiaire, sans non plus faire sensation, colle bien avec l’univers. La modélisation des personnages en CGI n’est pas sans failles, mais ça passe bien. Graphiquement le film convainc, tirant beaucoup sur les teintes jaunes, avec des personnages néo-gothiques à la Matrix, mais avec une once de renouveau. Le personnage de Cain est très réussi, que ce soit au niveau de l’écriture, de la performance et du style. Ses bottes qui lui permettent de surfer dans les airs est une réelle bonne idée, permettant de chorégraphier superbement les affrontements dantesques qui nous sont proposés. D’ailleurs, en parlant de ça, le film se révèle aussi être un grand film d’action, millimétré dans son rythme, terriblement dynamique et cohérent. La gestion du temps est très intéressante dans ce film, nous plongeant rapidement dans l’action, et n’attendant pas la seconde moitié pour balancer ces moments les plus épiques, bousculant un peu nos habitudes, et ce n’est pas un mal. Le coup du bouclier permet en plus au héros de foncer dans le tas et s’en tirer sans que cela soit grotesque de chance, et on sent réellement la force du personnage. À noter d’ailleurs la présence dans des rôles très secondaires de Gugu Mbatha-Raw (du très bon Belle) et Doona Bae (déjà présente dans leur dernier film), mais surtout Sean Bean, mentor de Cain, bien que pas forcément indispensable. En revanche, il est dommage que le personnage de Jupiter ne soit pas plus percutant, éclipsée au final par Cain, mais c’est probablement fait exprès.
Ainsi donc, oubliez tous vos à priori sur ce film, car il sait exactement ce que le spectateur attend et s’en joue. Vous croyiez qu’il ne s’agissait que d’une banale histoire prévisible ? Oui, mais pas si facile que ça. Vous êtes complètement folle de Channing Tatum ? Eh bien on vous offre presque demi-heure de lui torse nu. Mais d’un autre côté, son personnage de brute attendrissante est légitime, expliquée, et il représente à lui seul tout le film : on le voit et on croit d’emblée tout savoir de lui, mais rien n’est si évident ici. Vous aimez l’action ? On vous en met puissance mille, tout en s’en servant au passage pour casser les codes du genre. Amateurs d’effets spéciaux tapageurs ? Vous allez être gavés, mais on en profite pour inventer un style visuel incroyable. La surprise est donc de taille, et les retours très mitigés prouvent que les spectateurs réagissent mal aux changements. Il serait dommage que le film bide sous prétexte qu’il est à contre-pied des blockbuster classiques, car c’est justement en ça qu’il fait autant de bien. Donc si vous aussi vous éprouvez une certaine lassitude face aux productions du genre, foncez. Et pour les autres, sachez que le film est beaucoup plus intéressant et réfléchit qu’il n’en a l’air.