Ghost


Ghost
1990
Jerry Zucker

Cas assez unique en son genre, le film fut complètement lynché par la critique à sa sortie, n’hésitant pas à le qualifier de bonne grosse bouse, et pourtant le public en a fait un classique instantané. Plus de 217 M$ aux Etats-Unis, 517 M$ dans le monde : un gigantesque carton, qui si on le rapporte à l’inflation, donnerait près de 1,3 milliard au box-office. Le milieu professionnel a même dû ravaler sa fierté et aller dans le sens du vent, en le nommant dans la plupart des catégorie dans les cérémonies, et repartant par exemple avec deux Oscars : meilleur scénario et meilleure actrice dans un second rôle pour Whoopi Goldberg. Une sacrée revanche, et son statut de film culte n’a pas faibli avec les décennies.

L’histoire démarre de façon assez tragique : alors qu’ils filaient le parfait amour, Sam (Patrick Swayze) et Molly (Demi Moore) vont se retrouver séparés par la mort. Lors d’une sortie ensemble, un voleur tentera de s’emparer de son portefeuille, et un coup perdu viendra mettre fin aux jours de Sam, abattu par balle. Mais au moment de monter au ciel, il sentira comme un besoin de rester aux côtés de Molly. Et effectivement, elle se pourrait bien être en danger.

Peut-être originale à l’époque, l’histoire est dans le fond assez basique : une affaire de détournement d’argent, de la trahison et de l’amour. La touche d’originalité vient de cet ange gardien, qui est en réalité un fantôme, qui devra trouver un moyen d’influer sur la vie matérielle. Difficile à dire avec le recul si tous les clichés du genre découlent de ce film, ou si celui-ci les usait déjà, mais dans tous les cas ils sont de fait très présents, rendant le déroulé assez prévisible. C’est d’ailleurs le principal problème : le film a vieilli, que ce soit par les clichés qu’il a inventé ou perpétré, mais surtout les effets spéciaux, qui aujourd’hui le rend un peu cheap. Reste une belle histoire d’amour touchante, et surtout des interactions avec la voyante tantôt drôles tantôt émouvantes quand elles le sont au service de la romance. Et bien sûr, cette chanson désormais indissociable avec son « Only You » : Unchained Melody de Righteous Brothers. Un peu kitch avec les années, mais toujours mignon.

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Au-delà des lois


Au-delà des lois
1996
John Schlesinger

Quand on parle de peine de mort, un sujet met à peu près tout le monde d’accord : les actes pédophiles. Un sujet particulièrement d’actualité puisqu’hier a été adopté à Madagascar la castration chimique pour ce genre de crimes. Oui, mais que se passe-t-il quand la justice fait défaut ?

Imaginez le couple parfait d’américains, Karen (Sally Field) et Mack (Ed Harris), qui travaillent dur, ont une maison dans une banlieue chic et deux filles, dont la petite dernière va fêter son anniversaire. Leur aînée de 17 ans est rentrée un peu plus tôt ce jour-là, voulant justement aider pour préparer la fête. En plein appel avec sa mère, elle va ouvrir à la porte, tombant nez à nez avec un homme, qui va la violer et la tuer pendant que la mère assistera téléphoniquement à la scène, impuissante. Quel genre de monstre peut faire ça ? Robert Dood (Kiefer Sutherland), livreur identifié clairement comme de passage au moment des faits, et dont le test de sperme sera accablant : c’est lui. Peine de mort ? Perpétuité ? Que nenni, un vice de procédure lui permettra de s’en tirer sans rien, libre.

Le pitch du film est absolument atroce : une famille brisée par la pire des ignominies possibles, et qui sera une seconde fois traumatisée par une injustice flagrante concernant l’impardonnable. Le spectateur est donc là en quête de sang, de JCVD en sous-sol avec une perceuse, un marteau, des clous et autres idées de circonstance, avec bien sûr l’ordure suprême ligotée sur une chaise pour recevoir la justice divine. Pour ce qui est de dépeindre l’injustice, les défaillances du système ou la monstruosité de l’individu, le film est très réussi. Pour ce qui est du reste, le bilan est plus mitigé. On est loin d’un Death Wish au niveau efficacité, rythme ou satisfaction primale. Le film fait ce qu’on attend de lui, pas plus, et il prend bien trop son temps. Bien, mais on a vu mieux dans le genre.

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Missing : Disparition inquiétante


Missing : Disparition inquiétante
2023
Will Merrick (II), Nicholas D. Johnson

Nous voici cinq ans après l’incroyable surprise que fut le haletant et brillamment original Searching : portée disparue, et la même équipe de production nous propose de prolonger l’expérience avec une nouvelle enquête reprenant cette formule qu’était de suivre intégralement tout le film via une interface d’ordinateur, téléphone ou autre appareil connecté, tel un cyber espion se glissant à l’intérieur de l’enquête.

Cette fois on suivra non pas un père, mais une fille : June (Storm Reid). Alors qu’elle passait sa meilleur vie à l’aube de ses 18 ans, profitant de l’absence de sa mère pour faire la fête avec ses copines, le réveil sera douloureux : sa mère et son petit ami ne rentrerons jamais de leur voyage en Colombie. Que s’est-il passé ? Où sont-ils ?

Retour dans ce doux jeu du Cluedo géant, avec un niveau d’inspiration jamais vu. C’est bien simple, il ne se passe pas deux minutes sans qu’une dinguerie énormissime ne se dévoile. Et contrairement à dans Searching, ce ne sont pas toujours que des indices avec une seule vérité finale, mais une orgie de révélations perpétuelles où toutes les pistes sont bonnes, et ce n’est qu’une fois arrivé tout au bout qu’elles s’additionnent toutes. C’est tellement jouissif à suivre, nous réglant sans cesse de twists rocambolesques dans une effervescence à la générosité folle. Il faut aussi saluer le travail monumental de localisation, décuplant l’immersion, puisque l’intégralité des interfaces et textes à l’images sont tous sans exception traduits en français. Mieux encore, le film ne sonne pas comme une redite mais comme une version transcendée de son propre concept. L’idée d’inverser les rôles, que ce soit une jeune cherchant son parent et non l’inverse, cela permet d’avoir quelqu’un de très à l’aise avec les technologies, pensant à des alternatives plus ingénieuses avec de nouveaux médias : l’expérience est donc totalement renouvelée. La seule réserve qu’on pourrait émettre, hormis le fait que le concept ne soit pas totalement original, c’est qu’à vouloir en faire trop, certains pourraient trouver l’avalanche de pistes et révélations trop exubérant, donc moins crédible, mais pour ma part ce fut jubilatoire.

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Wish


Wish
2023
Chris Buck, Fawn Veerasunthorn

Voici donc le fameux film des 100 ans du studio d’animation Disney, le film révolutionnaire à 200 M$ de budget utilisant le meander, technique consistant à dessiner par dessus des modèles 3D. Si la France fait un peu figure d’exception avec pratiquement trois millions d’entrées, on peut dire que le flop est plus que massif avec les 240 M$ au box-office mondial (donc avec le marketing, au moins 350 M$ de budget réel, et avec 50% à domicile et 66% dans le reste du monde – sauf Chine 75% – de frais de distribution, même pas 100 M$ de réellement amassés, donc à peu près 250 M$ de pertes sèches). Il faut dire que les critiques ne furent pas tendres…

L’histoire est classique au possible : un roi / magicien avide de pouvoir, se faisant passer pour un bienfaiteur alors qu’il est un dictateur, va carrément basculer du côté obscur quand la jeune Asha, postulant pour être son apprentie, va le mettre face à ses contradictions et sa vraie nature.

Disney va décidément très mal. Après la catastrophe Avalonia, la mort progressive de l’univers Star Wars sur Disney+, la plantade historique du dernier Indiana Jones et l’effondrement de tout le MCU avec une contre-performance là aussi historique avec The Marvels, en voici un nouveau record dans le genre, soit trois films dans le top 5 des plus gros gouffres financiers de l’histoire en seulement un an. Chapeau ! Il sera long d’énumérer toutes les raisons de cet insuccès, mais tâchons.

Commençons avec le visuel, un résultat bâtard le cul entre deux chaises. Un mélange 3D / 2D raté, donnant un effet brouillon, moins fin et jamais ni beau, esthétique ou artistique. Et il faut dire que visuellement le royaume est archi classique, et rien dans le design des personnages ou des effets de magie ne viendra bousculer notre expérience. Côté scénario, c’est du sous sous Warcraft : le commencement, se limitant juste au magicien protecteur sombrant du côté obscur, mais en bien plus manichéen et limité au niveau réflexion. Juste de l’homme toxique qui se fera botter le cul par des femmes. Avec en plus des personnages de tous horizons ethniques, les plus blasés ou conspirationnistes crieront au wokisme, et il est vrai que la démarche semble plus arriviste qu’autre chose. On passera vite fait sur les innombrables clin d’œil, d’une lourdeur infame : les sept « nains », l’emblème fétiche, mais surtout le coup du grand père, au rêve voulant « marquer les générations à venir » avec sa musique, et qui en réalité compose le fameux thème de Walt Disney Pictures. On a déjà vu des auto-fellation moins flagrantes. Et enfin, parlons de ce fléau rarement agréable : les chansons. Là encore, le vide créatif est affolant, nous épuisant avec du remplissage où les protagonistes expriment leurs sentiments en poussant bien gratuitement la chansonnette, et ça ne permet ni d’augmenter les enjeux ni de développer les personnages tant elles ne font que décrire ce qu’il se passe ou exposer de plates évidences. Un pot pourri de ce que Disney croit avoir fait son succès, alors que si la plupart de leurs classiques ressortaient aujourd’hui, on les trouverait un peu vides (ce qui est le cas de la plupart de leurs live-action, ayant fonctionné uniquement grâce à la nostalgie), et il faut dire que le mélange est ici d’une telle fainéantise que c’en est difficilement supportable. Et contrairement à un Avalonia qui avait le mérite de proposer un semblant de quelque chose malgré de gros soucis d’écriture et une direction artistique foireuse, ce n’est clairement pas le cas ici. Recycler à l’infinie les mêmes recettes est vain, la magie ne prend plus.

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Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan


Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan
2023
Martin Bourboulon

Première partie d’un diptyque qui serait finalement une trilogie (semble t-il que l’histoire est toujours en suspend à l’issue du second opus) mais qui n’est pas sûre de voir le jour. Doté d’un budget de 72 M€, les deux films ont respectivement fini avec 3,5 millions d’entrées pour le premier et sur le point de finir avec 2,6 millions d’entrées pour le second, avec tout juste dans deux millions cumulés en dehors de la France, soit un total de huit millions de spectateurs dans le monde en deux films. C’est un score assez honorable, mais pas forcément suffisant pour convaincre les investisseurs à financer un nouveau volet. Sachant donc que le projet n’aura pas nécessairement de conclusion, j’y allais donc à reculons, d’autant que l’histoire est déjà bien trop connue.

Déjà adaptée une trentaine de fois, que ce soit au cinéma ou à la télé, l’œuvre d’Alexandre Dumas nous revient une fois de plus pour nous conter les manigances de Milady (Eva Green) et surtout du Cardinal Richelieu, se rêvant de renverser Louis XIII (Louis Garrel) et prendre le pouvoir, mais qui sera déjoué par les trois mousquetaires, Aramis (Romain Duris), Porthos (Pio Marmaï) et Athos (Vincent Cassel), rejoints par une nouvelle recrue, D’Artagnan (François Civil).

Beaucoup n’ont pas su apprécier à sa juste valeur la proposition épique et baroque de la version de 2011 de Les Trois Mousquetaires, mais je n’ai eu que ça en tête tout du long, et la comparaison fait mal. Malgré tout le talent de François Civil, il est bien trop vieux pour le rôle, donc le côté jeune premier passe moins bien, et désolé de le dire, mais le scénario est moins bien construit. La triple provocation en duel est ici bien moins naturelle, presque calée maladroitement pour coller au livre sans vraiment savoir qu’en faire. Toute la narration dans son ensemble est moins fluide, moins pertinente, et surtout inachevée de par son statut de première partie, ce qui avec Accros the Spider-Verse et Dead Reckoning a le don pour me lasser ces derniers temps. Faites des films complets qui tiennent la route en solo bordel ! Eh puis bon, les dirigeables avaient une sacrée gueule, tandis que là, ni scène épique ni sentiment d’aventure : du conflit politique ennuyeux, et quelques combats à l’épée illisibles entre une caméra trop bourlinguée, une image terne, et un gros souci sur les personnages et décors. Tout est aberrant de saleté. Les vêtements sont des torchons, les cheveux gras, et tout le monde – hors bourgeoisie – est continuellement crasseux, le visage plein de terre. C’est quoi le délire ? Okay, les gens d’antan n’avaient pas la même hygiène, mais à ce point là, ça semble abusif. C’est bien de faire preuve d’ambition en France, mais cette énième revisite du mythe manque de personnalité, transpose au lieu d’adapter, et malgré une volonté de bien faire, l’ennui est présent.

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L’Amant de Lady Chatterley


L’Amant de Lady Chatterley
2022
Laure De Clermont-Tonnerre

Malgré le vide créatif assez problématique de 50 Nuances de Grey, le film fut un succès colossal, donnant des idées à beaucoup. Pour Amazon, ce fut la saga After, qui après avoir trop perdu de spectateurs en salles était facile à continuer à produire pour pas cher. Côté Netflix, ils avaient déjà fait carton plein avec l’ode au viol et au kidnapping, de très saines passions, avec l’extraordinaire 365 Dni, chef d’œuvre inoubliable. Il y a visiblement une forte demande pour le genre sulfureux, anciennement qualifié d’obscène.

On remonte cette fois aux origines du genre avec une dixième (oui oui, déjà) adaptation du roman éponyme de D. H. Lawrence, écrivain anglais qui tenta de publier son roman en 1928, mais mourus deux ans plus tard sans savoir qu’il aura fallu attendre 1932 pour une première publication, et que son pays d’origine aura réussi à en bloquer la parution sur son territoire jusqu’en 1960 tant le monde n’était visiblement pas prêt.

On y suit les tourments de Lady Chatterley (Emma Corrin), une aristocrate de bonne famille ayant épousé un très riche noble, mais qui malheureusement rentrera de la Première Guerre Mondiale en fauteuil roulant. Et qui dit paralysie des jambes, dit paralysie des parties génitales. Dans la fleur de l’âge, elle ne souhaitait clairement pas se morfondre dans une vie d’abstinence, et son mari ne le lui souhaitait pas non plus, y voyant là l’occasion de peut-être assurer indirectement sa descendance. En quête d’un bel étalon pour épancher sa libido, elle trouvera en le garde-chasse (Jack O’Connell) le parfait amant, loin de se douter de jusqu’où la fougue la portera.

Voici dont ce récit si transgressif et choquant qu’il a été interdit pendant plus de trois décennies ? Si brillant – et mal adapté par contre pour juger une nouvelle itération pertinente – qu’il fallait impérativement – et éternellement – à nouveau l’adapter ? Fait amusant d’ailleurs, la domestique protectrice et confidente de Lady Chatterley est interprétée par Joely Richardson, qui se trouve avoir campé ce même rôle dans un téléfilm en 1993. L’histoire m’a beaucoup fait penser à la romance entre Edith et le paysan vers la saison 3 ou 4 de Downton Abbey, eh puis il y avait surtout eu la benjamine des Crawley avec le chauffeur, donc le mélange des classes, une aristocrate avec un homme du bas peuple, le livre a peut-être été un précurseur en la matière, mais comme la dernière adaptation en date est de 2022, le thème n’a plus rien de novateur. L’époque est toujours agréable à s’y replonger, et la romance reste mignonne dans l’ensemble, donc on passe un plutôt bon moment, mais rien de mémorable ni spécialement sulfureux : c’est moins démonstratif que n’importe quel épisode de Outlander, et la pauvre Lady n’est pas très appétissante tant sa maigreur est maladive. C’était probablement une œuvre choquante et obscène à son époque, mais l’intérêt de la revisiter encore et encore n’a que peu de sens de nos jours, lui faisant presque frôler la vulgarité tant la nudité n’apporte pas grand chose, si ce n’est souligner l’obsession pour la chair au détriment du cœur, ce qui nuit au message romantique global.

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Le Procès Goldman


Le Procès Goldman
2023
Cédric Kahn

L’exercice de style qu’est le film de tribunal est une scène de théâtre où l’art oratoire est maître, où le charisme est un impératif du métier. Nombre de films du genre ont été d’immenses succès artistiques, notamment récemment avec la claque des Sept de Chicago, qui trouve là un sacré challenger dans le domaine du procès. Une année décidément exceptionnelle pour le cinéma français que la cuvée 2023.

Affaire qui avait secoué l’actualité des années 70 en France, le film s’intéresse à l’histoire vraie derrière le procès pour divers méfaits, notamment un double assassinat de deux jeunes pharmaciennes en 1969, dont le suspect était Pierre Goldman (Arieh Worthalter), un révolutionnaire et malfrat notoire. Reconnu coupable et condamné à perpétuité en première instance dans ce qu’il dénonce comme un simulacre de justice, il compte bien faire éclater la vérité avec la deuxième instance.

N’étant pas né à l’époque, je n’avais jamais entendu parlé de cette affaire, dans le fond assez « banale » : un braquage qui tourne mal, deux témoins éliminés, selon la partie civile, et un odieux double meurtre bien gratuitement attribué au premier malfrat venu sans l’ombre d’une preuve ou d’une vérité selon la défense. Certes, on parle d’un juif proche du mouvement révolutionnaire cubain, d’accointance avec des noirs des DOM-TOM, avec d’un certain point de vue le débat sur une forme d’antisémitisme et de racisme, mais c’est extrêmement secondaire, voir hors sujet. On est plus sur du délit de sale gueule, de petit con dont les méfaits ont tellement fatigué les forces de l’ordre que l’occasion de le foutre au trou était trop belle. Mais il semblerait que les années l’aient calmé, transformant le jeune turbulant avide de chaos en un homme confirmé, cultivé et jubilant de cette tribune pour en faire sa scène politique. Un personnage haut en couleurs, radical, qui n’a pas sa langue dans sa poche, qui ose, qui bouscule le politiquement correct et tape là où ça fait mal. Entre le jeu extraordinaire des acteurs, outre le fameux Golman qui mériterait tellement de remporté son César pour lequel il est nominé et les maître Kijman (Arthur Harari) et le président juge (Stéphan Guérin-Tillié) presque aussi bluffant, et aussi l’écriture ciselée des tirades mémorables, les joutes verbales sont d’une puissance infinie. Avant le verdict, la réplique « je ne voudrais pas de moi qu’on dise que j’ai agi comme un juif déclarant implicitement que ceux qui ne sont pas juifs n’ont pas le droit de penser qu’un juif soit un tueur, et s’ils le pensent c’est qu’ils sont antisémites » est d’un tel impact et d’une telle honnêteté intellectuelle que l’admiration n’en est que plus grande. Pas un temps mort, pas un témoignage non percutant, le rythme est maîtrisé de bout en bout. Même la réalisation est d’une rare pertinence : un 4:3 très resserré sur les personnages, et un choix de pellicule à l’ancienne pour nous plonger dans l’époque. Une histoire prenante, des personnage forts, des acteurs parfaits, des dialogues d’une rare intensité : un niveau de qualité comme on en voit que trop rarement.

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The Fabelmans


The Fabelmans
2023
Steven Spielberg

Projet des plus personnels pour le géant Steven Spielberg, s’attaquant ni plus ni moins qu’à sa propre histoire, en version quelque peu romancée d’après ses propres dires. L’idée de raconter le parcours de l’un des réalisateurs les plus renommés de l’histoire du cinéma, c’était particulièrement alléchant, et les critiques de la presse notamment furent quasiment unanimes pour le porter aux nus, mais l’ère post-covid est une catastrophe pour la légende, enchaînant coup sur coup deux des pires plantades de sa carrière, avec cette fois tout juste 43 M$ dans le monde, alors même que le film a frôlé la barre du million de spectateurs en France, c’est dire le niveau abyssal partout ailleurs…

Le jeune Steven Sam a grandi dans les années 40-50 en plein âge d’or d’Hollywood, se découvrant très jeune une passion pour le cinéma. Après avoir vu le premier film de sa vie au cinéma, stupéfié par le réalisme d’une scène de train percutant divers obstacles, il n’aura plus qu’une obsession : avoir son propre train miniature et y simuler le même genre de scène épique. A mesure qu’il va s’éveiller à la vie, il va également s’éveiller à l’art de la réalisation.

Les critiques adorent quand on parle de cinéma, alors quand un maître du genre nous sort une œuvre autobiographique, pas étonnant que toute l’industrie se soit à ce point enthousiasmée. Mais face à un échec commercial si violent, elle semble avoir fait machine arrière en cours de route, le film n’ayant reçu aucun prix aux Oscars malgré une dizaine de nominations. Il faut dire que si le film est dans l’ensemble une belle réussite avec son lot de pépites, dans ses bien trop longues 2h31 de métrage, nombre de passages sont soit trop communs, soit pas intéressants. On commence tout d’abord crescendo avec le film sur le train, puis on passe sur de la débrouillardise impressionnante avec l’attaque de la diligence, à carrément du film professionnel et abouti avec la séquence de guerre. Et quand le film parle de trou d’épingle pour simuler un flash, de coup de génie pour faire avec les moyens du bord, c’est à la fois impressionnant et inspirant. Voilà comment un tel génie a émergé. Seulement au milieu de tout ça, les problèmes familiaux avec la mère (Michelle Williams), le père (Paul Dano) et le meilleur ami (Seth Rogen) sont fades en comparaison, et le pire viendra en seconde moitié : on basculera dans du teen movie pas très inspiré, avec en prime un film de vacance pas passionnant. Il faudra attendre la toute fin pour avoir à nouveau un éclair de génie, cassage de quatrième mur, mais c’est faiblard. Si on enlève les clichés familiaux, la première moitié est incroyable, montrant tout le génie créatif et l’envers du décor de façon brillante, mais la seconde moitié est convenue, voir ennuyeuse par moments. Dommage que tout le film ne se soit pas concentré sur les projets créatifs, on aurait eu là un projet autrement plus palpitant.

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Mon Inconnue


Mon Inconnue
2019
Hugo Gélin

Il y a les bons et les mauvais remakes. On parle souvent des films français adaptés aux Etats-Unis, mais l’inverse est aussi vrai. Comme pour Camille Redouble, remake minable du très bon Peggy Sue s’est mariée, on va là aussi voyager dans une réalité alternative « et si ? », en reprenant le principe mais sans être complètement un remake de Family Man, mais pour cette fois proposer quelque chose de plus abouti, et pas une simple repompée plan pour plan. Je ne dirais jamais assez de mal de Camille Redouble, remake le plus fainéant et honteux qu’il m’ait été donné de voir, et c’est d’autant plus agréable de voir un film réussir avec panache dans le périlleux exercice du remake.

Raphaël (François Civil) et Olivia (Joséphine Japy) ont eu le coup de foudre au lycée, puis sont restés ensemble dix ans durant. Elle était promise à une belle carrière de pianiste, lui rêvait de percer comme écrivain, et en une décennie les choses se sont inversées : Olivia a vu sa carrière décliner, n’étant plus qu’une simple professeur de piano vivant surtout sur l’immense succès de son mari, dont le dernier roman est un carton phénoménal. Il enchaîne les plateaux, les interviews et rendez-vous mondains, et elle reste à la maison à l’attendre, sombrant en dépression. Un soir le couple va se déchirer entre jalousie et manque d’attention, au point de remettre en question leur amour. Le lendemain au réveil, Raphaël va basculer dans une réalité alternative où il n’a jamais fini son roman, étant simple professeur comme son ami Félix (Benjamin Lavernhe), mais où surtout il n’a jamais rencontré Olivia, désormais célèbre pianiste.

Pour 90% du scénario, on a là vraiment un remake de Family Man : un homme ayant fait fortune bascule dans une réalité où il n’a jamais percé, mais pour mieux y apprendre les priorités de la vie, comprendre l’importance de ce qu’il a perdu, mais surtout ce à côté de quoi il est passé, sauf que là il est fautif d’avoir laissé les choses se détériorer, et il sera plutôt question de raviver sa propre flamme que de découvrir l’amour, déjà présent à la base. Et il faut bien dire que le film fait tout mieux que Family Man : les relations sont mieux développées, le personnage principal est beaucoup moins obnubilé par une richesse illusoire usante, la romance est plus belle, moins facile, et surtout le film ose. Le concept est plus maîtrisé et se permet d’aller plus loin. Drôle, touchant, émouvant, le film nous emporte. Une grande réussite, tout simplement.

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Le Règne animal


Le Règne animal
2023
Thomas Cailley

Le cinéma fantastique est des plus rares en France, et c’est logique tant les investisseurs ont de quoi être frileux : les quasi seuls films rentables en France sont des comédies, pour peu qu’on les trouve au milieu de toutes les productions américaines qui trustent le haut des charts (dans le top 30 de 2023, en dehors des comédies françaises, films d’animation ou blockbusters américains, seuls deux films d’aventures français, et tout en bas du classement Anatomie d’une chute, l’anomalie). Malgré des critiques dithyrambiques, des vacances de la Toussaint très favorables permettant un maintient quasi parfait un mois durant, Le Règne animal a su arracher un succès d’estime, mais ne déroge pas à la règle : 1,1 millions d’entrées pour 16 millions d’euros de budget, soit la moitié de ce qu’il aurait dû faire pour atteindre l’équilibre. Si la démarche d’un tel projet est louable, il faut dire que le résultat n’est clairement pas tout public.

Et si la nature animale de l’homme se réveillait ? C’est justement le fléau qui ravage l’humanité : une mutation d’origine inconnue plonge notre monde dans le chaos en transformant certaines personnes en bêtes, jusqu’à perdre toute notion de civilisation. Pour rester proche de sa femme qui a subit ce changement, François (Romain Duris) va partir dans le Sud de la France avec son fils (Paul Kircher) pour se rapprocher d’elle, un centre pour « monstres » y ayant ouvert.

J’avais clairement envie d’y croire et de donner raison à l’engouement général, et par principe il faut encourager ce genre d’ambition qui ne peut qu’enrichir le paysage cinématographique. Et par bien des aspects, le film est une franche réussite, revisitant le mythe d’un monde divisé à la X-Men à la sauce « retour à la nature ». L’amourette du fils touchante, les effets spéciaux dans l’ensemble plutôt convaincants, et il faut saluer le travail sur la musique, littéralement haletante. Pour autant, beaucoup de points m’ont dérangé : pas d’explications sur le pourquoi du comment, une Adèle Exarchopoulos d’habitude parfaite mais cette fois carrément effacée, l’évolution physique de la mutation est trop peu traitée (on a soit les premiers symptômes, soit une forme déjà totale), des soucis de rythme (peu de changements, puis une accélération très brutale en toute fin) ou encore une foire aux monstres assez glauque (on se croirait dans Splice par moments) dans sa direction artistique, créant quelques soucis de débat. Là où X-Men était plus un film politique faisant écho à la Guerre Froide où deux camps pas vraiment identifiés ont peur d’une force qui les dépasse ou qu’ils souhaiteraient contrôler, justifiant à la fois la peur de se dévoiler d’un côté et la peur de citoyens dangereux de l’autre, le bilan est ici inversé. Alors même que toute forme d’humanité semble disparaître au bout d’un moment chez la personne mutante, il semblerait que ce retour à la nature soit quasi euphorique. Mais de fait, cette déshumanisation les rend dangereux, et c’est prouvé à plusieurs reprises, justifiant les appréhension de beaucoup, or le film le traite comme du racisme. Donc soit le film ne comprend pas ce qu’il fait, soit il le fait mal, mais dans les deux cas c’est incohérent. Il est bon de vouloir proposer quelque chose de radicalement différent dans une industrie française trop précautionneuse, mais j’ai eu un peu de mal à rentrer dedans.

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