Le Problème à 3 corps
2024
David Benioff, D.B. Weiss, Alexander Woo
Critique garantie sans spoilers
Si pendant les 6-7 premières saisons de Game of Thrones le duo Weiss / Benioff était porté aux nus, l’amertume d’une ultime saison décevante, trop brusque, incohérente ou incomplète, a rendu le duo détestable pour beaucoup. Mais depuis de l’eau a coulé sous les ponts, et difficile de produire la même qualité sans la puissance de l’œuvre littéraire derrière, qu’ils avaient dépassé depuis deux saisons avant la fin. Cette fois le projet avait de quoi rassurer puisque le duo s’attaque à une trilogie de romans du légendaire Liu Cixin, reconnu comme le plus grand auteur chinois de science-fiction, donc une œuvre déjà finie. Une saga très populaire, avec un plan pour adapter l’ensemble sur trois ou quatre saisons, de quoi être à peu près sûr d’aller au bout, d’implanter plus encore Netflix en Chine, mais surtout proposer une série à l’ambition ahurissante.
Adapté principalement du premier tome, Le Problème à 3 corps, avec quelques éléments de La Forêt sombre et de La Mort immortelle (les tomes 2 et 3), la série va plonger le monde face à une menace au delà de sa compréhension. Partout dans le monde, des scientifiques se suicident par dizaines, les laboratoires et les machines semblent tomber en panne en boucle, plus rien de ce qui sort d’un calculateur n’a de sens. On y suivra d’un côté Da Shi (Benedict Wong) et Wade (Liam Cunningham), menant l’enquête pour savoir pourquoi le monde part en vrille, et de l’autre un groupe de scientifiques (Jin (Jess Hong), Auggie (Eiza Gonzalez), Saul (Jovan Adepo), Jack (John Bradley) et Will (Alex Sharp)) témoins de phénomènes des plus étranges.
Deux choses à dire avant tout : ne vous renseignez à aucun moment sur l’histoire, et foncez. Si la série dévoile ses cartes assez vite, l’essentiel est révélé dès les quatre premiers épisodes sur les huit qui composent cette première saison, les trois premiers épisodes sont une masterclass de mystère et mise en place. Que ce soit Westworld ou la première saison de The Witcher, j’adore être perdu dans la narration, ne sachant ni quand quoi se déroule, ni si l’histoire est linéaire. Il faut donc accepter de plonger dans l’inconnu, faire confiance et se gaver de cette aura mystérieuse. Et on peut dire qu’on a rarement vu une telle maîtrise dans le genre, à l’unique exception des deux modèles du genre évoqué plus haut. Entre phénomènes surnaturels, inexplicables aux premiers abords, du mind fuck absolu défiant les lois de la physique, la remise en question de la réalité elle-même : c’est juste prodigieux. C’est bien simple, que ce soit au niveau de l’ambiance, la mise en scène, absolument tout est d’un niveau de perfection choquant, une claque titanesque sur les trois premiers épisodes, passant d’une théorie à une autre avec coup sur coup une fin qui vous tétanise, que ce soit par l’ampleur du mystère, des révélations ou des possibilités.
Largement mis en avant dans la campagne promotionnelle et faisant parti des points de départ de l’histoire, un des artifices de la série en symbolise toute la réussite : le fameux casque d’immersion. Je n’en dirais absolument rien, d’autant que tous les mystères l’entourant n’ont pas encore été dévoilés à l’issue de la première saison, mais on y voit toute la démesure de l’ambition visuelle, à couper le souffle, et que ce soit les enjeux narratifs ou les mystères qui gravitent autour ou dedans, c’est ahurissant. Un niveau de frisson digne de la première saison de Westworld, c’est dire. Une mise en scène millimétrée, des acteurs vraiment excellents (on retrouvera aussi Jonathan Pryce), mention spéciale à celle qui incarne Jin, stupéfiante, des effets spéciaux dantesques avec une personnalité forte, et puis surtout cette musique de Ramin Djawadi, déjà à l’œuvre sur celles de Westworld et qui signe encore des partitions prodigieuses, sombres, oppressantes et mystérieuses. En résulte une ambiance étouffante, angoissante, complètement viscérale et qui restera nous hantera bien au delà du visionnage de la série. Une emprunte marquante, durable, et qui encore une fois, tutoie les sommets du genre avec un niveau proche de ce qui reste encore aujourd’hui la meilleure saison de toute séries confondues, la toute première de Westworld.
Le seul point sur lequel cette série est moins abouti, c’est que cette perfection n’est pas aussi constante, et il nous manque cette claque finale qui enfonçait le clou de la maîtrise absolue. Trop de mystères pour la première moitié, pas assez de développement de personnages, puis un focus trop prononcé sur l’humain et les sentiments dans la seconde moitié, avec beaucoup de révélations. L’attente sera interminable pour les prochaine saisons tant cette première a déjà eu presque deux ans de post-production, ce qui exclu toute possibilité de saison 2 avant au moins fin 2026, donc peut-être une fin à l’orée 2030 voir 2034 selon la vitesse de production et si l’ensemble sera étalé sur trois ou quatre saisons. Autant dire que les livres vont connaître un sacré regain d’intérêt pour les plus impatients, et espérons que la suite sera à la hauteur de cette première saison. N’oublions jamais que la SF n’est pas un genre en soi, c’est avant tout un outil de narration pour nous faire réfléchir à notre humanité ou à notre société, et une telle intelligence d’exécution force le respect.