Le Problème à 3 corps


Le Problème à 3 corps
2024
David Benioff, D.B. Weiss, Alexander Woo

 

Critique garantie sans spoilers

Si pendant les 6-7 premières saisons de Game of Thrones le duo Weiss / Benioff était porté aux nus, l’amertume d’une ultime saison décevante, trop brusque, incohérente ou incomplète, a rendu le duo détestable pour beaucoup. Mais depuis de l’eau a coulé sous les ponts, et difficile de produire la même qualité sans la puissance de l’œuvre littéraire derrière, qu’ils avaient dépassé depuis deux saisons avant la fin. Cette fois le projet avait de quoi rassurer puisque le duo s’attaque à une trilogie de romans du légendaire Liu Cixin, reconnu comme le plus grand auteur chinois de science-fiction, donc une œuvre déjà finie. Une saga très populaire, avec un plan pour adapter l’ensemble sur trois ou quatre saisons, de quoi être à peu près sûr d’aller au bout, d’implanter plus encore Netflix en Chine, mais surtout proposer une série à l’ambition ahurissante.

Adapté principalement du premier tome, Le Problème à 3 corps, avec quelques éléments de La Forêt sombre et de La Mort immortelle (les tomes 2 et 3), la série va plonger le monde face à une menace au delà de sa compréhension. Partout dans le monde, des scientifiques se suicident par dizaines, les laboratoires et les machines semblent tomber en panne en boucle, plus rien de ce qui sort d’un calculateur n’a de sens. On y suivra d’un côté Da Shi (Benedict Wong) et Wade (Liam Cunningham), menant l’enquête pour savoir pourquoi le monde part en vrille, et de l’autre un groupe de scientifiques (Jin (Jess Hong), Auggie (Eiza Gonzalez), Saul (Jovan Adepo), Jack (John Bradley) et Will (Alex Sharp)) témoins de phénomènes des plus étranges.

Deux choses à dire avant tout : ne vous renseignez à aucun moment sur l’histoire, et foncez. Si la série dévoile ses cartes assez vite, l’essentiel est révélé dès les quatre premiers épisodes sur les huit qui composent cette première saison, les trois premiers épisodes sont une masterclass de mystère et mise en place. Que ce soit Westworld ou la première saison de The Witcher, j’adore être perdu dans la narration, ne sachant ni quand quoi se déroule, ni si l’histoire est linéaire. Il faut donc accepter de plonger dans l’inconnu, faire confiance et se gaver de cette aura mystérieuse. Et on peut dire qu’on a rarement vu une telle maîtrise dans le genre, à l’unique exception des deux modèles du genre évoqué plus haut. Entre phénomènes surnaturels, inexplicables aux premiers abords, du mind fuck absolu défiant les lois de la physique, la remise en question de la réalité elle-même : c’est juste prodigieux. C’est bien simple, que ce soit au niveau de l’ambiance, la mise en scène, absolument tout est d’un niveau de perfection choquant, une claque titanesque sur les trois premiers épisodes, passant d’une théorie à une autre avec coup sur coup une fin qui vous tétanise, que ce soit par l’ampleur du mystère, des révélations ou des possibilités.

Largement mis en avant dans la campagne promotionnelle et faisant parti des points de départ de l’histoire, un des artifices de la série en symbolise toute la réussite : le fameux casque d’immersion. Je n’en dirais absolument rien, d’autant que tous les mystères l’entourant n’ont pas encore été dévoilés à l’issue de la première saison, mais on y voit toute la démesure de l’ambition visuelle, à couper le souffle, et que ce soit les enjeux narratifs ou les mystères qui gravitent autour ou dedans, c’est ahurissant. Un niveau de frisson digne de la première saison de Westworld, c’est dire. Une mise en scène millimétrée, des acteurs vraiment excellents (on retrouvera aussi Jonathan Pryce), mention spéciale à celle qui incarne Jin, stupéfiante, des effets spéciaux dantesques avec une personnalité forte, et puis surtout cette musique de Ramin Djawadi, déjà à l’œuvre sur celles de Westworld et qui signe encore des partitions prodigieuses, sombres, oppressantes et mystérieuses. En résulte une ambiance étouffante, angoissante, complètement viscérale et qui restera nous hantera bien au delà du visionnage de la série. Une emprunte marquante, durable, et qui encore une fois, tutoie les sommets du genre avec un niveau proche de ce qui reste encore aujourd’hui la meilleure saison de toute séries confondues, la toute première de Westworld.

Le seul point sur lequel cette série est moins abouti, c’est que cette perfection n’est pas aussi constante, et il nous manque cette claque finale qui enfonçait le clou de la maîtrise absolue. Trop de mystères pour la première moitié, pas assez de développement de personnages, puis un focus trop prononcé sur l’humain et les sentiments dans la seconde moitié, avec beaucoup de révélations. L’attente sera interminable pour les prochaine saisons tant cette première a déjà eu presque deux ans de post-production, ce qui exclu toute possibilité de saison 2 avant au moins fin 2026, donc peut-être une fin à l’orée 2030 voir 2034 selon la vitesse de production et si l’ensemble sera étalé sur trois ou quatre saisons. Autant dire que les livres vont connaître un sacré regain d’intérêt pour les plus impatients, et espérons que la suite sera à la hauteur de cette première saison. N’oublions jamais que la SF n’est pas un genre en soi, c’est avant tout un outil de narration pour nous faire réfléchir à notre humanité ou à notre société, et une telle intelligence d’exécution force le respect.

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Nos cœurs meurtris


Nos cœurs meurtris
2022
Elizabeth Allen Rosenbaum

Apparemment gros succès de l’été 2022 sur Netflix, je me rappelle après coup avoir effectivement beaucoup entendu la chanson principale du film à la radio, « Come back Home ». Un sursaut dans le parcours de la chanteuse / actrice, qui n’aura connu que peu de hauts dans une carrière assez discrète (moins d’une dizaine de chanson au delà des dix millions de vues sur YouTube, dont une seule à plus de 50, et pas un seul de ses films n’est sorti au cinéma), et dont c’est visiblement là son plus grand fait d’arme.

L’histoire est celle de Cassie (Sofia Carson), une jeune femme qui s’est récemment fait diagnostiquer un diabète de niveau 1, l’obligeant à prendre de grosses doses d’insuline, mais dont seulement une partie est remboursée, l’obligeant à vivre dans une grande précarité pour simplement survivre. Un soir, alors qu’elle se faisait draguer par des marines, l’un d’eux évoquera la couverture maladie complète dont bénéficie les femmes de militaires. Ayant contracté une grosse dette à cause d’anciens problèmes de drogue et étant lui aussi marines, Luke (Nicholas Galitzine) va avoir passer un marché avec elle pour arranger un mariage de principe, se partageant ainsi la prime familiale.

Oh la la, deux jeunes gens séduisants qui se marient pour de faux, on se demande bien ce qu’il va se passer… Oh la la, problèmes de drogue et mariage bidon puni potentiellement par la cours martiale, on se demande bien comment les choses pourraient mal tourner… Oubliez donc toute notion de surprise, le film est une comédie-dramatique-romantique ultra classique, glissant sur des rails qu’on connaît par cœur. Ca joue bien, c’est assez bien mis en scène, mais le vrai argument c’est évidemment la bande-son, du fait que l’actrice principale soit aussi une chanteuse, et qu’elle a écrit là objectivement ses meilleures chansons, qui sont vraiment excellentes d’ailleurs. Eh puis bon, c’est un peu le pacte tacite entre le spectateur et le genre même de la romcom : ça ne peut qu’être prévisible à souhait, et pas d’émotion sans élément perturbateur, car l’happy end ça se mérite. Le reprocher serait donc malhonnête tant la marge de manœuvre est inexistante. Si vous n’êtes donc pas trop blasés par ce genre de films et que vous savez dans quoi vous vous embarquez, c’est une plutôt belle surprise, mignon et efficace.

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American Fiction


American Fiction
2024
Cord Jefferson

Grand prétendant aux Oscars, nommé dans quasiment toutes les catégories dont les plus prestigieuses, le film y a reçu tout de même un prix de taille : celui du meilleur scénario adapté (étant tiré d’un roman). Pourtant, il fut balancé sans la moindre communication ni mise en avant sur Amazon Prime juste quelques jours avant la cérémonie. Une sortie française qui dénote avec le buzz l’entourant, d’autant que son sujet semblait à première vue très prometteur.

Ecrivain de seconde main gagnant péniblement sa vie, Monk (Jeffrey Wright) va un jour avoir une révélation à force de voir les médias blancs mettre en avant systématiquement des histoires de noirs en galère, de problèmes de « la street », avec d’autres auteurs noirs se complaisant dans ce registre alors qu’ils sont issu de la bourgeoisie et n’ont jamais approché de près ou de loin les galères qu’il décrivent. Et si c’était là le piège ? Et s’il faisait pareil ? Après la mort de sa sœur, il va mettre son plan à exécution et écrire une caricature du genre, une pure farce complaisante, mais qui sera prit premier degré par les éditeurs, y voyant là le prochain bestseller que les blancs vont s’arracher.

Le concept de base était génial : mettre le nez dans la merde de la fausse bienséance, le racisme inversé ou dissimulé. Des lecteurs blancs qui se jettent sur les récits tragiques de noirs des cités pour se donner bonne conscience et dire « oui oui je soutient le mouvement progressiste », alors même qu’il a été insufflé par des bourgeois sans le moindre problème. Une manière de dénoncer le phénomène de wokisme, où la diversité est le fruit d’une démarche mercantile, fourbe, et non d’une réelle envie d’inclusion, qui quand bien même n’aurait rien d’honnête. Seulement voilà, il faudra attendre près d’une heure pour que cela se mette en place, et ce sujet en or restera toujours en arrière-plan. Le vrai sujet est avant tout un homme cherchant sa place, que ce soit dans sa famille ou dans la société, à gérer ses traumatismes et ses échecs. Du bon vieux drame éculé, et plus que d’être relégué au second plan, cet entubage du système ne sera même pas pleinement développé, sans une once de répercutions. Juste « oh le bon sujet de film ! », histoire de toujours chercher le profit sans jamais rien remettre en question. Triste… C’est d’autant plus dommage que quand le film ose l’insolence, c’est juste jubilatoire, mais terriblement frustrant tant on effleure tout juste la surface. Le film est donc un peu ce qu’il dénonce : nous détourner du sujet avec du pathos, pour au final n’avoir aucun réel impact sur quoi que ce soit.

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Irish Wish


Irish Wish
2024
Janeen Damian

Après la très belle surprise La Probabilité statistique de l’amour au premier regard, Netflix enrichie à nouveau son catalogue d’une comédie romantique maison, que beaucoup ont eu tôt fait de conspuer (est-ce à cause du fait que Lindsay Lohan soit la tête d’affiche et produise ?), alors même que sous ses airs de romcom télévisuelle de Noël se cache un projet un chouia plus ambitieux, et surtout finalement assez réussi.

Ah qu’est-ce qu’on ne ferait pas par amour… Maddie (Lindsay Lohan) a très vite eu le béguin pour Paul, un écrivain raté, mais qui grâce à ses réécriture, a pu sortir un livre de bien meilleure qualité et devenir un auteur à succès. Seulement voilà, lors d’une soirée où elle espérait enfin se rapprocher de lui, il tombera à la place sous le charme d’une de ses meilleures amies. Quelques mois plus tard alors qu’elle était invitée à leur mariage, jalouse à en crever, elle va faire le vœu d’être à la place de son amie et que ce soit elle qui soit destinée à porter la robe blanche. Et justement, une bonne fée va lui accorder ce vœu.

Effectivement, le début du film fait assez peur : on empile un sacré paquet de clichés du genre tel un film diffusé sur M6 un après-midi en période de Noël. Des gags téléphonés, des situations ô combien prévisibles, mais avec quelques arguments. Si on passe outre la tronche encore un peu ravagée de Lindsay Lohan qui semble avoir dix ans de trop pour son rôle, on y découvre un film au moins ambitieux visuellement avec un somptueux domaine à faire frémir Downton Abbey, et un certain nombre de décors irlandais magnifiques. Le coup de la réalité alternative avec la fée ancre un peu plus le long-métrage dans la tradition des téléfilms de Noël, mais ça a le mérite de dynamiser un peu le récit, et surtout quel plaisir de retrouver Ed Speleers ! Le bougre a fait un sacré chemin depuis Eragon, et il mériterait une carrière dépassant un peu plus le milieu télévisuel. De la romance qui ne révolutionne rien, tout est cousu de fils blancs, mais c’est honnêtement divertissant, souvent drôle voir touchant, donc pourquoi bouder son plaisir ?

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10 jours sans maman


10 jours sans maman
2020
Ludovic Bernard

Coupé en plein élan dans sa route vers les 1,5-2 millions d’entrées par le Covid, le film aura tout de même été un surprenant succès avec presque 1,2 millions de spectateurs, un exploit quand on sait à quel point son acteur vedette, Franck Dubosc, est l’incarnation absolue du « has been », où la quasi intégralité de sa filmographie des dix dernières années est composée de naufrages critiques et commerciaux, avec plus de la moitié en dessous des trois cent mille entrées, y compris son second film en tant que réalisateur qui n’aura pas atteint le dixième de Tout le monde debout, son unique film de la décennie qui soit et populaire et couronné de succès, hormis celui dont il est question aujourd’hui, mais qui n’aura clairement pas autant convaincu le public.

Quel est le plus gros cliché familial ? La mère qui s’occupe seule des enfants (surtout valable dans le temps où la plupart des femmes étaient femmes au foyer, mais un cliché de plus en plus éculé depuis un bon demi-siècle). On va donc suivre une famille où la mère (Aure Atika) s’occupe – presque, avec une femme de ménage tout de même – seule de tout ce qui est ménage, entretient, administratif de la maison, et surtout les enfants, au nombre de quatre (trois garçons et une fille). Le mari (Franck Dubosc) est DRH dans une grande enseigne de bricolage et se voit être le centre de toute l’attention et la reconnaissance, au point de ras-le-bol consommé où la mère va décider de tout simplement se barrer dix jours pour un peu souffler et faire prendre conscience à son ingrat de mari que non, « elle ne se repose pas quasi toute la journée pendant que lui trime si dur au boulot ».

On aura rarement vu un scénario aussi poussif et poussiéreux, se basant sur les plus gros poncifs des clichés de famille bourgeoise. La mère soi-disant débordée qui a en fait une femme de ménage qui vient plusieurs fois par semaine et dont les enfants sont tous placés en journée, et le mari qui semble clairement se la couler douce au boulot, a une bonne voiture et une immense maison en quartier chic, mais qui espère carrément devenir directeur à force de ne plus se sentir pisser. Quand on rêve d’avoir un bon gros smic de bourgeois et de se la couler douce comme une faignasse aux 35 heures, on se sent bien loin de leurs problèmes de petits privilégiés… Mais est-ce au moins efficace dans ce qu’il propose ? Mouef. Disons que l’idée de remettre le mari à sa place est réussie, et que le connard arrogant déconnecté de la réalité, c’est du Dubosc dans le texte, donc il campe toujours l’éternel même rôle. Quatre enfants, c’était à la fois une bonne et une mauvaise idée. Bonne car elle représente un challenge organisationnel et d’autorité, mais mauvaise car ils n’existent pratiquement pas individuellement dans une comédie d’à peine 90 minutes. De même, la scène d’ouverture tease un carnage de dérapage à la Babysitting, pour au final s’avérer être un banal accident expédié en deux minutes. Le film n’est pas mauvais, il est juste incroyablement convenu et attendu. Dire qu’une suite a vu le jour en 2023 !

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Saltburn


Saltburn
2023
Emerald Fennell

Alors que la saison des cérémonies touche à sa fin, le grand challenger britannique s’est heurté à un sacré mur : absolument aucun prix nulle part, et carrément aucune nomination aux Oscars. Le fameux thriller sulfureux a fait pschitt après son vague buzz, finissant même directement sur Prime Video pour ce qui est de la France, et même en tant que membre, je ne me suis clairement pas précipité pour le voir.

Dans ce remake non assumé de M. Ripley, on suivra là encore l’admiration / romance / amitié plus qu’ambiguë entre deux hommes, le prolétaire Oliver Quick (Barry Keoghan) et le noble Félix Catton (Jacob Elordi), dont la famille possède une fortune colossale, ainsi qu’un immense domaine : Saltburn. Durant leurs études à Oxford, les deux jeunes hommes vont se lier d’amitié, et Félix va inviter Oliver à passer l’été dans sa prestigieuse demeure.

Sans vouloir trop spoiler, le film est vraiment plus qu’inspiré par Le Talentueux M. Ripley, c’en est carrément une revisite avec les grandes lignes strictement identiques. On troque l’exubérance américaine et le luxe des hôtels européens par la sophistication britannique et le prestige des demeures et modes de vie d’antan à la Downton Abbey. Les points communs avec M. Ripley sont si ahurissants qu’il y a de quoi se demander pourquoi personne n’a crié au plagiat, mais heureusement le film est moins raté que son aîné. Le casting est là aussi très prestigieux, avec également Rosamund Pike, Richard E. Grant, Carey Mulligan, et même la tanche de Gran Turismo, Archie Madekwe, ne fait pas trop tâche. Le rythme est un peu mieux maîtrisé, et contrairement au « modèle », la fin n’est pas un naufrage ici, bien que la dense illustre parfaitement le principal problème de conception du film : son ton vulgaire. Certaines scènes auront beaucoup fait parler, notamment la baignoire et le « vampire » (qui n’a jamais passé outre ?), mais ce voyeurisme n’apporte pas grand chose, voir est complètement débile comme le coup de la terre encore fraîche. Sérieusement ?! Le côté thriller arrive très tard, et tout ce qui précède est du sous Call me by your name. De même, le style « arty » du 1:33 avec un grain d’époque est stupide, l’histoire étant censée se dérouler en 2006, par en 1920, et le format d’image ne rend pas justice aux décors. Un projet mal branlé en somme, dont l’intérêt de l’histoire est d’une part long à venir, et est sacrément prévisible d’autre part.

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Le Consentement


Le Consentement
2023
Vanessa Filho

Véritable phénomène ayant prit un peu tout le monde de court, le film se destinait à être perdu dans les limbes, dans les tréfonds du box-office. Même pas soixante mille entrées en première semaine, mais peu après ce début très timide, un engouement sans précédent s’empara de Tik Tok et résonna auprès des jeunes, comme un défi : se filmer en état de choc à la fin de sa séance. Le film connu alors un gigantesque boom, faisant mieux chaque semaine pendant un mois entier, surfant près de deux mois sur son buzz pour multiplier par plus de dix ses entrées, au delà des 600 000 en fin de carrière quand la barre des 100K semblait un plafond difficile à dépasser à la base. Une petite production destinée à une existence confidentiel, devenant l’un des films français les plus rentables de l’année. Le genre de succès story qui donne envie de se pencher dessus.

Le film adapte le livre éponyme écrit et tiré de l’histoire vraie de Vanessa Springora (incarnée par Kim Higelin, puis Elodie Bouchez pour le petit prélude). L’histoire se déroula dans les années 80, alors que sa mère (Laetitia Casta) va avoir nulle autre que le très célèbre écrivain Gabriel Matzneff (Jean-Paul Rouve) à sa table lors d’une soirée. Ce dernier, pédophile notoire s’en vantant même dans ses livres, va tomber sous le charme de la petite ingénue Vanessa, collégienne d’à peine 13 ans. Il va alors lui envoyer des mois durant des lettres d’amour, tantôt poétiques, tantôt plus directes et charnelles, laissant peu à peu germer dans son esprit en construction l’idée d’une romance avec cet esprit brillant, immense auteur à succès acclamé par tous, certes déjà quinquagénaire, mais encore en pleine force de l’âge comme il le dirait lui-même. Puis un beau jour, refermant le piège, il ira la récupérer à son collège, près à asséner le coup de grâce pour la rendre folle de lui. Vraiment ?

Qui n’a jamais fantasmé sur un professeur ou tout simplement une personnalité publique plus âgée mais ô combien désirable à nos yeux ? La loi en a conscience, et il serait tôt fait d’en profiter, dans un sens comme dans l’autre, d’où la notion de rapport d’autorité, faisant monter aujourd’hui l’âge de consentement de 15 à 18 ans dans ce genre de cas. Oui mais voilà, nous étions là dans les années 80, avec des parents en provenance directe de la période hippie, pour ne pas dire des dépravés pas vraiment inquiets à l’idée qu’une adolescente soit l’amante d’un vieux pervers. L’amour n’a pas d’âge. On a donc là une ordure ayant un stratagème bien développé, sachant exactement comment s’y prendre pour manipuler de jeunes esprits naïfs pour les faire croire à un grand amour sur fond excitant d’interdit. Dans l’absolu l’amour aurait été possible, mais ça ne sera pas le cas, le bougre ayant plus d’une maîtresse, avec une obsession insatiable proche de l’aliénation, qui en aucun cas ne peut se rapprocher d’une quelconque romance. La seule question de fait qui se pose, et qui est d’ailleurs tout le sujet du film, c’est de montrer en quoi la manipulation orchestrée rend flou la notion de consentement, voir démontre au contraire en quoi toute forme de consentement a été bafouée.

Quid du film dans tout ça ? L’histoire est très intéressante, surtout la première demi-heure pour montrer toute la froideur du plan d’endoctrinement, faisant basculer du harcèlement d’un vieux dégueulasse de 50 piges en un illustre écrivain d’âge mur prit de folie charnelle pour la douceur d’une enfant ingénue mais « si en avance pour son âge ». Une façon vicieuse pour détourner l’attention de sa démarche, effaçant l’écart d’âge choquant, invoquant de nobles sentiments et en flattant la fameuse Vanessa en louant son intelligence, car aimer quelqu’un comme lui serait justement une grande marque de maturité. Jean-Paul Rouve est méconnaissable, effrayant presque, et Kim Higelin fait très bien les ahuries ébahies, mais leurs jeux frôlent souvent le cabotinage. Eh puis bon, une actrice de 23 ans pour camper une ado ayant de 13 à 18 ans, ça atténue le propos et adouci la violence psychologique qu’est censée représenter ce couple illégal. De manière générale, le film manque de finesse, notamment dans la mise en scène avec un côté provoquant trop prononcé, cassant la rythmique. On se retrouve avec une large majorité du métrage uniquement consacré aux abus et à la toxicité de cette relation, rendant l’étude des conséquences moindre, presque rushée. Le contexte de l’époque passe un peu mal aussi, car impossible de croire qu’un homme de plus de cinquante ans se pavanait de partout, plateau télé, restaurant, en terrasse, avec des dizaines de jeunettes à peine pubères de 13 à 16 ans, que tout le monde savait, même les parents et amis, et que tous ont fini par accepter la situation. Et que dire de la morale du film quand on présente comme le sauveur de l’adolescente en perdissions (alors âgée de 15 ans) un étudiant en fin de cycle d’environs 25 ans ? Certes, l’écart est moindre, mais quitte à opposer manipulation et vrais sentiments, autant éviter de remettre un rapport de confort matériel de l’homme plus âgé. Un film sur un débat de fond important, qui semblait partir sur de bonnes bases de par son premier acte maîtrisé, mais qui se perd ensuite entre voyeurisme et égarements.

 

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Ghost


Ghost
1990
Jerry Zucker

Cas assez unique en son genre, le film fut complètement lynché par la critique à sa sortie, n’hésitant pas à le qualifier de bonne grosse bouse, et pourtant le public en a fait un classique instantané. Plus de 217 M$ aux Etats-Unis, 517 M$ dans le monde : un gigantesque carton, qui si on le rapporte à l’inflation, donnerait près de 1,3 milliard au box-office. Le milieu professionnel a même dû ravaler sa fierté et aller dans le sens du vent, en le nommant dans la plupart des catégorie dans les cérémonies, et repartant par exemple avec deux Oscars : meilleur scénario et meilleure actrice dans un second rôle pour Whoopi Goldberg. Une sacrée revanche, et son statut de film culte n’a pas faibli avec les décennies.

L’histoire démarre de façon assez tragique : alors qu’ils filaient le parfait amour, Sam (Patrick Swayze) et Molly (Demi Moore) vont se retrouver séparés par la mort. Lors d’une sortie ensemble, un voleur tentera de s’emparer de son portefeuille, et un coup perdu viendra mettre fin aux jours de Sam, abattu par balle. Mais au moment de monter au ciel, il sentira comme un besoin de rester aux côtés de Molly. Et effectivement, elle se pourrait bien être en danger.

Peut-être originale à l’époque, l’histoire est dans le fond assez basique : une affaire de détournement d’argent, de la trahison et de l’amour. La touche d’originalité vient de cet ange gardien, qui est en réalité un fantôme, qui devra trouver un moyen d’influer sur la vie matérielle. Difficile à dire avec le recul si tous les clichés du genre découlent de ce film, ou si celui-ci les usait déjà, mais dans tous les cas ils sont de fait très présents, rendant le déroulé assez prévisible. C’est d’ailleurs le principal problème : le film a vieilli, que ce soit par les clichés qu’il a inventé ou perpétré, mais surtout les effets spéciaux, qui aujourd’hui le rend un peu cheap. Reste une belle histoire d’amour touchante, et surtout des interactions avec la voyante tantôt drôles tantôt émouvantes quand elles le sont au service de la romance. Et bien sûr, cette chanson désormais indissociable avec son « Only You » : Unchained Melody de Righteous Brothers. Un peu kitch avec les années, mais toujours mignon.

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Au-delà des lois


Au-delà des lois
1996
John Schlesinger

Quand on parle de peine de mort, un sujet met à peu près tout le monde d’accord : les actes pédophiles. Un sujet particulièrement d’actualité puisqu’hier a été adopté à Madagascar la castration chimique pour ce genre de crimes. Oui, mais que se passe-t-il quand la justice fait défaut ?

Imaginez le couple parfait d’américains, Karen (Sally Field) et Mack (Ed Harris), qui travaillent dur, ont une maison dans une banlieue chic et deux filles, dont la petite dernière va fêter son anniversaire. Leur aînée de 17 ans est rentrée un peu plus tôt ce jour-là, voulant justement aider pour préparer la fête. En plein appel avec sa mère, elle va ouvrir à la porte, tombant nez à nez avec un homme, qui va la violer et la tuer pendant que la mère assistera téléphoniquement à la scène, impuissante. Quel genre de monstre peut faire ça ? Robert Dood (Kiefer Sutherland), livreur identifié clairement comme de passage au moment des faits, et dont le test de sperme sera accablant : c’est lui. Peine de mort ? Perpétuité ? Que nenni, un vice de procédure lui permettra de s’en tirer sans rien, libre.

Le pitch du film est absolument atroce : une famille brisée par la pire des ignominies possibles, et qui sera une seconde fois traumatisée par une injustice flagrante concernant l’impardonnable. Le spectateur est donc là en quête de sang, de JCVD en sous-sol avec une perceuse, un marteau, des clous et autres idées de circonstance, avec bien sûr l’ordure suprême ligotée sur une chaise pour recevoir la justice divine. Pour ce qui est de dépeindre l’injustice, les défaillances du système ou la monstruosité de l’individu, le film est très réussi. Pour ce qui est du reste, le bilan est plus mitigé. On est loin d’un Death Wish au niveau efficacité, rythme ou satisfaction primale. Le film fait ce qu’on attend de lui, pas plus, et il prend bien trop son temps. Bien, mais on a vu mieux dans le genre.

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Missing : Disparition inquiétante


Missing : Disparition inquiétante
2023
Will Merrick (II), Nicholas D. Johnson

Nous voici cinq ans après l’incroyable surprise que fut le haletant et brillamment original Searching : portée disparue, et la même équipe de production nous propose de prolonger l’expérience avec une nouvelle enquête reprenant cette formule qu’était de suivre intégralement tout le film via une interface d’ordinateur, téléphone ou autre appareil connecté, tel un cyber espion se glissant à l’intérieur de l’enquête.

Cette fois on suivra non pas un père, mais une fille : June (Storm Reid). Alors qu’elle passait sa meilleur vie à l’aube de ses 18 ans, profitant de l’absence de sa mère pour faire la fête avec ses copines, le réveil sera douloureux : sa mère et son petit ami ne rentrerons jamais de leur voyage en Colombie. Que s’est-il passé ? Où sont-ils ?

Retour dans ce doux jeu du Cluedo géant, avec un niveau d’inspiration jamais vu. C’est bien simple, il ne se passe pas deux minutes sans qu’une dinguerie énormissime ne se dévoile. Et contrairement à dans Searching, ce ne sont pas toujours que des indices avec une seule vérité finale, mais une orgie de révélations perpétuelles où toutes les pistes sont bonnes, et ce n’est qu’une fois arrivé tout au bout qu’elles s’additionnent toutes. C’est tellement jouissif à suivre, nous réglant sans cesse de twists rocambolesques dans une effervescence à la générosité folle. Il faut aussi saluer le travail monumental de localisation, décuplant l’immersion, puisque l’intégralité des interfaces et textes à l’images sont tous sans exception traduits en français. Mieux encore, le film ne sonne pas comme une redite mais comme une version transcendée de son propre concept. L’idée d’inverser les rôles, que ce soit une jeune cherchant son parent et non l’inverse, cela permet d’avoir quelqu’un de très à l’aise avec les technologies, pensant à des alternatives plus ingénieuses avec de nouveaux médias : l’expérience est donc totalement renouvelée. La seule réserve qu’on pourrait émettre, hormis le fait que le concept ne soit pas totalement original, c’est qu’à vouloir en faire trop, certains pourraient trouver l’avalanche de pistes et révélations trop exubérant, donc moins crédible, mais pour ma part ce fut jubilatoire.

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