American Psycho


American Psycho
2000
Mary Harron

Film culte ayant propulsé la carrière de son anti-héros, le film ne fut pourtant ni acclamé ni populaire à sa sortie, assez largement boudé par la critique et ayant récolté tout juste 34 M$ dans le monde. Pourtant, aujourd’hui il a su gagner le cœur de beaucoup, que ce soit pour son axe original ou sa radicalité assumée.

Ainsi, on va suivre la folie de Patrick Bateman (Christian Bale) – nom prémonitoire – un tradeur ultra riche, vice président à seulement 27 ans dans la boîte à papa. Ses deux passions dans la vie, hormis le fait de prendre soin de lui pour faire jalouser tout le monde aussi bien physiquement que matériellement, c’est de jouer à qui a la plus grosse avec ses collègues, et se taper sa copine (Reese Witherspoon) ou des prostituées (incluant Chloë Sevigny), souvent par deux. Seulement un beau jour, trop c’est trop, le succès insolent de son collègue Paul Allen (Jared Leto) va lui faire péter un câble, et il va le tuer. Une jouissance libératrice, lui faisant enfin ressentir quelque chose.

Avoir comme personnage principal un fou furieux tueur en série, ça n’est certes pas inédit, mais ça a le mérite d’être un peu original, d’autant que son aliénation est assez exacerbée. Il y aura le délire des cartes de visite, des blondes, à deux et avec une caméra, ou encore tout ce qui touche à son apparence physique avec une superficialité à son apogée. Un complexe de Dieu, qui a défaut de donner la vie, va la reprendre. Une perte des réalités avec l’argent facile, l’argent illimité, mais jamais assez car il faut continuellement être le seul à avoir tout, et mieux que tout le monde. La moindre contrariété, la moindre personne qui ne serait pas à ses genoux est vécu comme un affront suprême, un motif de meurtre indiscutable et inévitable. Le film va loin, tellement loin qu’on en viendrait à douter de lui, surtout avec le dernier craquage absolu, mais d’après ce que j’ai pu en lire, tout est réel. Manque alors les conséquences, une réelle conclusion, créant une véritable frustration malgré le côté amoral, qui aurait pu être grisant si sans équivoque, mais qui en l’état nous laisse un peu perplexe, pour ne pas dire déçu. Au final, à quoi a servi l’inspecteur (Willem Dafoe) ? Comment le dernier acte a pu avoir une telle finalité ? Il manque des pièces au puzzle, ou alors le film n’a pas su y répondre clairement. Une bonne idée avec un casting assez dingue, mais un peu plombé par une fin pas maîtrisée.

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Brightburn – L’enfant du mal


Brightburn – L’enfant du mal
2019
David Yarovesky

J’avais le souvenir d’un petit événement en soi, un succès d’estime et commercial, mais pas du tout, même loin s’en faut. Les retours furent très tièdes, et pour ce qui est du box-office, c’est certes un succès étant donné le budget bas typique de film d’horreur, à peine 7 M$, mais avoir peiné à atteindre 33 M$ dans le monde, c’est carrément anecdotique, risible. Et pourtant, Internet semble s’enflammer à la moindre rumeur de suite, qui n’arrivera apparemment jamais d’après ceux derrières le projet, et il faut bien dire que le concept même aurait dû nécessiter un budget digne des gros blockbusters pour aller au bout de sa démarche, donc il est évident que ce que le public demande n’a aucune chance d’arriver.

L’idée est simple : et si Superman était méchant ? Un couple de fermier (incluant Elizabeth Banks) qui n’arrivait pas à avoir d’enfants va un jour voir un vaisseau spatial se cracher à proximité de leur ranch, avec à son bord un bébé. Pendant 12 ans, ce fut une bénédiction, mais à l’arrivée de la puberté, leur fils va se rendre compte qu’il est différent, capable de choses extraordinaires, mais avec un but : s’emparer du monde.

Le mythe de Superman est un immense classique connu de presque tous, et si visiblement le film n’en avait pas les droits, tout y est officieusement : le couple de fermiers, la petite ville d’Amérique rurale, et tous les pouvoirs seront peu ou prou les mêmes, avec surtout la force surhumaine, la capacité de voler, la résistance à tout en dehors des matériaux du fameux vaisseau toujours caché sous la grange, et les yeux laser bien sûr. Même la scène iconique du bus est détournée avec une voiture, mais en version horrifique. On sent globalement la mentalité « sale gosse », là pour détourner l’image du super-héros ultime pour en faire un vilain, mais sans pour autant assumer pleinement ses propres idées. On pense notamment à tout le discours sur la puberté, sur les déviances et sa camarade qui va jusqu’à l’accuser de perversité, mais au final rien, que des allusions, rien de concret, même dans les intensions. La violence est très crue, presque granguignolesque tant le gore est abusif, ce qui pour ma part est une mauvaise chose tant la violence psychologique restera toujours plus impactante que la violence physique, à moins d’une mise en scène folle, ce qui ne sera pas le cas. Eh puis la montée en violence n’est pas fluide du tout : l’enfant vire à un instant T, tel un déclic, mais sans développement de sa haine intérieur ou quoi que ce soit, contrairement au modèle du genre, Chronicle. Et c’est un peu ça le problème, car en vrai le concept a déjà été traité, tellement plus subtilement, avec une vraie vision, et un développement des personnages largement plus pertinent. Quitte à vouloir faire une parodie horrifique récréative sur Superman, autant pousser les curseurs au maximum et être bien plus généreux sur les thèmes de violence et le spectacle. Dans les faits ça reste divertissant, d’autant que très court, mais que ce soit l’écriture ou le budget, ça n’était pas à la hauteur de ce qu’on était en droit d’en attendre.

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Braquage à l’ancienne


Braquage à l’ancienne
2017
Zach Braff

Idée amusante que de voir une bande de papys basculer dans le banditisme, avec un casting qui a de quoi donner envie, mais entre un réalisateur dont les principaux succès d’estime m’ont frigorifié ou à peine diverti et des propositions autrement plus impactantes lors de sa sortie, même avec une carte de cinéma illimitée, j’avais fait l’impasse. Et effectivement, le film ne valait pas tellement le coup d’œil.

Une bande d’octogénaires (incluant Morgan Freeman et Michael Caine) va voir leur quotidien chamboulé de la pire des manières : la précarité. Jouissant d’une retraite plus que confortable (45K par an c’est carrément colossal, clairement pas de quoi se plaindre), le fruit de leur labeur leur sera enlevé, leur ancienne boîte se délocalisant et gelant leurs plans de pensions. Pour l’un d’eux ayant assisté au braquage de sa banque plus tôt, c’est la solution à tous leurs problèmes.

Dans l’absolu pourquoi pas, et le film a quelques solides arguments. Déjà son casting, deux monuments du cinéma dans le trio de tête (ce qui fait peser une disparité démesurée pour le troisième, pourtant bien mis en avant) et quelques têtes biens connues dans les rôles secondaires, comme Christopher Lloyd, Joey King ou encore Matt Dillon. Ensuite, si le braquage reste d’une banalité sordide avec une mise en place quasiment inexistante et des conneries à hurler, on sent une réelle réflexion autour du fait de couvrir leurs arrières. Mais par contre, difficile de croire que des guichets puissent avoir des sommes pareilles, c’est aberrant. Et puis surtout ils sont décrits comme des ouvriers modestes ayant une pension qui leur permet à peine de vivre, et pourtant ils parlent à un moment donné de seulement voler ce qui est censé leur revenir, avec comme base 45 000 dollars par an ! Soit très exactement 3750$ par mois, ce qui est gigantesque, surtout pour une retraite. Donc non seulement cela ne correspond pas du tout à leur style de vie, mais c’est à se demander ce qu’ils peuvent bien faire de sommes si vertigineuses pour en plus être en difficulté avant même le gel définitif de leur retraite. Le genre d’écriture à la Jean-François Copé qui croit qu’un pain au chocolat coûte 20 centimes et que les pauvres touchent 5000€ par mois. Au pire demandez à un travailleur lambda, genre un des techniciens qui bossent sur le film ? Le mépris et la méconnaissance de la bourgeoisie, c’est quelque chose… Après ça, la base reste la discrétion, ne pas changer directement ses habitudes une fois le vol commis. Raté, ce sont des débiles et la police est d’une nullité affolante. On ne rit que mollement et pas souvent, l’histoire n’a rien de fou mais souffre d’incohérences qui plombent salement. Pas mauvais, mais oubliable et à la limite de l’ennui.

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Rencontre avec Joe Black


Rencontre avec Joe Black
1998
Martin Brest

Conspué au moment de sa sortie, au point de recevoir le Razzie Award du pire remake (pour un obscur film des années 30), le film a également été un énorme échec financier, ne récoltant que la moitié de son budget colossal (85-90 M$, soit dans les 150 M$ actuels avec l’inflation) sur le sol américain. Un budget astronomique dû à un tournage aberrant de près de six mois, dont quasiment deux rien que pour les quelques scènes de la fête à la fin, pour une durée de métrage très conséquence de trois heures, de quoi en refroidir plus d’un. Pourtant, avec les années la vision sur le film a radicalement changé, au point de le hisser au rang d’œuvre culte et adoré par beaucoup.

Imaginez que la mort en personne frappe à votre porte. C’est exactement ce qu’il va arriver à William Parrish (Anthony Hopkins) à quelques jours de ses 65 ans, alors que justement sa vie est à un tournant entre la volonté du conseil d’administration de son entreprise de se faire englober par des investisseurs, et sa plus jeune fille Susan (Claire Forlani) qui a perdu fois en l’amour, prête à se ranger aux côtés d’un arriviste peu scrupuleux. La mort va bousculer plus d’une vie, puisqu’en plus d’apprendre à William que sa vie touche à sa fin et qu’il va bientôt l’emmener avec lui, il va choisir de prendre le corps de Joe Black (Brad Pitt), nom imaginé par William pour expliqué ce visiteur incongru, mais familier pour Susan, puisqu’il s’agit de l’homme pour lequel elle venait d’avoir un coup de foudre dans un café le matin même, sans se douter une seconde que ce dernier avait connu un destin tragique et abritait désormais l’esprit de la mort en personne.

L’idée du film est assez forte, avec la mort venant en personne, mais y ajouter un quiproquo sur son apparence, et des sentiments qui y sont liés, voilà qui épice les choses. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que juste ce postulat de départ marche très très fort : Brad Pitt est à son prime de beauté insolente, et son jeu mi enfant attardé qui n’a jamais prit le temps de vivre sur Terre, mi robot usé par les millions d’années de son existence, est aussi déroutant qu’efficace ; l’alchimie avec sa partenaire fonctionne très bien tant l’actrice est d’une beauté saisissante entre sa fragilité, son sourire ravageur, mais surtout son regard à se damner, et on comprend de fait que même une entité divine y perde la raison ; et enfin Anthony Hopkins est comme à son habitude un monument de classe et de charisme, et on sent toute la gravité d’aborder sa fin de vie, ce sentiment d’injustice face à une vie de travail acharné, qui ne connaîtra de repos que celui du cimetière.

Reste alors tous les à côté, car il faut bien remplir trois heures de film. On aura la fille aînée (Marcia Gay Harden), délaissée et qui essaiera de compenser par une implication plus forte, avec son bon à rien de mari, conscient de son statut de larbin, mais déjà tellement comblé de sa place inespérée et attendrissant de par sa simplicité dans un monde d’opulence indécente. Puis on suivra surtout toutes les mesquineries du bras droit, le petit jeune arriviste pour sa part dénué de gratitude et en voulant toujours plus, pendant plus classique de l’histoire, pour ne pas dire ennuyeuse, d’autant que sa résolution a de quoi laisser perplexe quant à sa crédibilité légale. Petit mot au passage sur l’habitude des personnages de s’embrasser sur la bouche, même au sein d’une même famille, ce qui a de quoi choquer voir rebuter. Si globalement pour un film aussi long, le temps passe assez vite, il faut bien reconnaître que certaines scènes semblent trop longues, comme celle dans le lit ou la danse avec une déduction sortie de nulle part, bien pratique pour lier la fin. Et en parlant de la fin, sans rien en révéler, j’avais peur de certaines facilités ou clichés, mais plus encore de déception, et la conclusion reste assez satisfaisante. Ouf. Sans être une révolution ou un chef d’œuvre, le film est néanmoins très réussi, avec une idée forte et originale, ce qui est déjà énorme.

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Le Collectionneur


Le Collectionneur
1997
Gary Fleder

Pas vraiment de grande renommée, le personnage de Alex Cross trouve ici sa toute première adaptation, personnage de profileur / détective apparemment spécialisé dans les enquêtes bidons et peu passionnantes, c’est du moins l’impression qu’on l’en a vu les quelques films qui en sont tirés. De quoi se demander pourquoi les romans de James Patterson ont une aura « culte », et surtout pourquoi ce film en particulier s’est retrouvé parmi les films les plus populaires sur Netflix.

On suivra donc logiquement Alex Cross (Morgan Freeman), un détective spécialisé dans la psychologie au sein de la police de Washington. Suite à l’enlèvement de sa nièce, il va se mettre à enquêter sur une série de disparitions de jeunes femmes, dont l’issue restait jusqu’alors la même : être retrouvée morte, attachée au milieu des bois. Mais un beau jour, une des filles kidnappées (Ashley Judd) va enfin réussir à s’évader, donnant de nouvelles pistes pour la police.

Rater autant de choses et à ce point, c’est rare ! Parlons tout d’abord du casting (comptant également Cary Elwes et Brian Cox), une catastrophe pour la gestion du suspens. Comment ne pas soupçonner des personnages dont les acteurs n’ont pratiquement fait que des salauds dans leur filmographie ? Surtout avec une telle tête de fouine vicelarde ? Eh bingo, la révélation finale sera anticipée dès les premières minutes, ça ne manquera pas. Passons ensuite au rythme, d’une mollesse plutôt gênante : il ne se passe pas grand chose, les enquêteurs ont toujours un train de retard sur le ou les méchants, pourtant d’une nullité complètement affolante. C’est à se demander comment la collection a pu commencer un jour… Et place enfin au plus gros souci : le scénario. Toutes les victimes sont retrouvées dans les bois depuis des années, et la première rescapée dit s’être échappée d’un repère justement présent dans lesdits bois, avec une position plutôt clairement identifiée (moins d’un kilomètre d’une chute d’eau). Il est donc évident que le méchant va en urgence déplacer sa cachette puisqu’il serait aberrant qu’une battue monstrueuse (dizaines de chiens, plusieurs douzaines de policiers, 2-3 hélicoptères) ne soit pas immédiatement déployée. Non ? Visiblement l’utilisation du cerveau est prohibée : seul le fameux Alex Cross décidera de s’intéresser à la question vers la fin, accompagné par tout juste un ou deux copains. Sérieusement ?! Et que dire de l’autre affaire, spoilée au spectateur très tôt, et qui sera là encore gérée comme des consanguins attardés ? Une cible identifiée, prête à être cueillir. Un serial killer ayant fait des dizaines de victimes, mais seulement deux policiers, un psy et une civile pour l’arrêter. Le seul moment où le « paquet » sera mit, ce sera pour une arrestation de ce qui est de toute évidence un immonde prédateur criminel multirécidiviste, avec quatre voiture de police (waouh… ), tout ça pour qu’il n’ait aucune importe au final. Long, chiant, prévisible, avec l’un des pires scénarios jamais écrit. Aie…

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Westworld


Westworld
2016-2022
Jonathan Nolan & Lisa Joy

Monument de la SF parmi les séries, et plus globalement monument culturel, Westwolrd est peut-être l’œuvre la plus intelligente et brillante jamais paru, tout simplement. Alors que depuis novembre 2022 la série est officiellement annulée faute d’audience justifiant l’un des plus gros budget de tous les temps, l’espoir reste permis pour voir un jour l’ultime saison, ou peut-être un film de conclusion puisqu’il se murmure que Amazon pourrait racheter la série et lui offrir la fin tant attendue, ce qui ferait sens puisque les créateurs y ont lancé avec succès une série événement sur Fallout. En attendant, revenons sur cette adaptation en série du concept de Mondwest, diptyque de films sortis dans les années 70 et écrit par Michael Crichton, l’écrivain à qui l’on doit notamment Jurassic Park.

Le concept est aussi fou que libérateur : proposer un parc où tout est permis, sans la moindre conséquence pour la vie en dehors, permettait à ceux qui en ont les moyens (40 000 $ par jour tout de même) de laisser libre cours à leurs plus bas instincts. Et quoi de mieux pour symboliser ça que le Far West ?

Nous sommes donc dans un futur assez lointain (mais de moins en moins) où une société a construit un immense parc sur le thème du Far West, construisant villages, des scénarios, mais surtout des robots, indiscernables des humains, là pour satisfaire le public, que ce soit pour servir de chair à canon pour les tueurs refoulés, de chair fraîche pour les frustrés, ou pour servir d’acolytes pour de grandes aventures pour les amateurs de sensations fortes. Qui paye est maître du monde, ayant le droit de vie ou de mort sur quiconque (robot s’entend bien) croisant son chemin, pouvant égorger ou violer qui bon lui semble. Une expérience cathartique où l’on suivra ceux en charge, comme les participants ou les victimes. Pour la gestion du parc, on retrouvera donc l’énigmatique créateur du parc, Robert Ford (Anthony Hopkins), le chargé de comportement des hôtes, Bernard (Jeffrey Wright), la superviseuse Virginia (Sidse Babett Knudsen), le scénariste Lee Sizemore (Simon Quarterman), et le responsable de la sécurité Stubbs (Luke Hemsworth). Pour les participants, la première saison s’axera sur la quête du labyrinthe pour un mystérieux homme en noir (Ed Harris), de même que le dépucelage du parc et de la vie en général pour William (Jimmi Simpson), amené par son beau-frère Logan (Ben Barnes) en guise d’enterrement de vie de jeune garçon puisque le premier s’apprête à se marier avec la sœur du second. Côté robots du parc, on suivra principalement Dolores (Evan Rachel Wood), tout premier hôte créé, qui commence à remettre en cause sa réalité ; Maeve (Thandie Newton), tenancière de la maison close du hub central, dont le reboot de la mémoire aura de plus en plus de ratés ; ou encore Teddy (James Marsden), l’aspirant de Dolores, pris au milieu de changements qui le dépassent.

Si le générique montrant l’impression 3D des corps des hôtes avec la musique solennelle mi épique mi angoissante de Ramin Djawadi met une claque d’emblée, la première saison pose les bases dès le premier épisode avec un brio sans commune mesure, imposant le thème de réflexion global : remettre en cause la nature de la réalité, et avec la notion même de conscience. Et ce qui est remarquable c’est que chaque situation, chaque personnage est une pièce d’un puzzle fascinant et brillant où tout est d’une importance cruciale, nous embarquant d’emblée dans une histoire si complexe qu’il est vain d’essayer de tout comprendre en cours de route, mais si parfaitement exécutée que tout est limpide une fois le fin mot donné. Le parc est une expérience ultime révélant la nature profonde de chacun, et c’est aussi jouissif à suivre, à en comprendre le fonctionnement, les dessous, que de s’imaginer vivre soi-même cette expérience. On pourrait arguer que le montage est vicieux, liant des événements non corrélés de façon détournée, mais c’est là encore une façon exceptionnelle de faire avancer le récit de manière fluide, tout en cachant certaines vérités dont l’impact sera décuplé le moment venu. Le génie du timing à son paroxysme. Le rythme s’accélère progressivement à mesure que le mystère s’intensifie ou que la narration se retrouve bouleversée, comme avec la première claque monumentale en fin d’épisode 7 avec le fameux « it doesn’t looks like anything to me », ou la maestria du set-up pay-off. Et déjà l’on voudrait tout revoir avec ce changement de point de vue, sans savoir que cette pierre colossale n’est qu’un grain de sable d’un univers à la richesse insondable. Les premiers éléments concrets pour mieux comprendre l’ensemble se dessinent avec le huitième épisode, où la limpidité fait place à l’évidence jusqu’à un final aussi craint qu’attendu : « this violent delights have violent ends ». On retient son souffle tout du long, autant ébloui par tous les éléments se recoupant qu’abasourdi par l’immensité de la réflexion philosophique, tant sur l’humanité que la vie en général. Ce n’est plus du divertissement mais une leçon de vie.

Saison 1 :

Peut-on se réinventer après une telle claque que cette première saison, qui aura su exposer avec brio un casting désormais reconnu ? La seconde saison redouble à nouveau d’ingéniosité sur la narration, avec tellement de points de vues et de timelines qu’il serait impossible de tout citer entre le passé de Dolores et Arnold, celui de William et les différents groupes un peu partout dans le parc, que ce soit en terme d’espace que de temps. Mais il s’agit là de sous intrigues, toutes mêlées à un concept bien connu mais brillamment exécuté ici : le narrateur non fiable, en l’occurrence Bernard. Blessé à la tête et ayant certains types de problèmes que l’on ne pourrait aborder sans dévoiler d’éléments majeurs, il ne sait plus toujours ni où ni quand il se trouve, amenant là encore un montage des événements complètement frauduleux, un casse-tête encore plus sournois, et donc ô combien jouissif à suivre tant notre cerveau est en ébullition, cherchant le moindre indice sur lequel spéculer. Outre le chef de l’escouade de sauvetage (Gustaf Skarsgard), cette seconde saison introduira surtout le personnage de Davos père (Peter Mullan), avec le but caché du parc et le fameux test de « fidélité », amenant un nouveau niveau de profondeur dans la réflexion philosophique globale de la série. A noter le caméo mémorable de Giancarlo Esposito, venant ponctuer la quête de vérité, nous contant la bien belle leçon de l’éléphant. On aura également la confirmation que le parc ne se limite pas à l’expérience du Far West, découvrant une version japon féodale (avec Hiroyuki Sanada) et une version Inde coloniale (avec la fille de William) avec notre imagination pour seule limite.

Pas autant de montée en puissance ou de folles révélations allant crescendo, le niveau sera maximal d’emblée, mais il faut bien admettre que la parenthèse de l’épisode 8 est assez monumentale, un quasi film à part entière sur un indien s’éveillant d’un long sommeil. Point d’aller-retour dans le temps, d’histoires dans tous les sens, juste un moment suspendu, plein de poésie. Prodigieux. Néanmoins, il faut bien reconnaître que le déroulé est bien moins surprenant que la première saison, plus frontal puisqu’en réalité l’ordre des événements est exactement ce qu’il semble être (dans le désordre, mais limpide). La seule question des derniers épisodes est de savoir quels légers twists viendront éclaircir ce qui paraient être des incohérences, mais qui seront bien justifiés au final. On se régalera aussi, outre les flashbacks, des astuces narratives pour ramener Ford (Anthony Hopkins) et surtout Logan (Ben Barnes) dont chacune de ses trop rares apparition est un moment d’anthologie. La bibliothèque et le « trop complexe » sera d’un niveau non moins marquant que la voix intérieure, prouvant le degré de perfection de la vision d’ensemble et le souci ahurissant du détail. The « Valley Beyond » sera l’occasion de si grands frissons, et mention spéciale à James Marsden qui incarne Teddy, dont la carrière n’est dans l’ensemble pas franchement éblouissante, mais qui livre décidément la prestation de sa vie. On pourrait arguer que la fin ouvre encore plus de portes qu’elle n’en ferme, faisant craindre de se noyer dans une richesse trop insondable, mais c’est aussi ça la force de la série : nous offrir un spectacle challengeant pour notre esprit. L’ivresse des débuts reste pratiquement intacte, et avec le recul cette seconde saison est probablement plus aboutie encore que la première.

Saison 2 :


C’était il y a seulement quatre ans, mais le souvenir était assez vague (du fait aussi d’avoir revu deux fois les deux premières, et jamais cette troisième), et il est vrai que les saisons 1 et 2 étaient dans la parfaite même continuité, se déroulant exclusivement au parc en dehors de quelques flashbacks, donc le fait de quitter ce cocon était effrayant en quelque sorte. Mais le rejet fut assez massif malgré tellement de bons points : le piédestal fut brisé, la perfection n’était plus atteinte, et plus haut est le sommet, plus lourde est la chute. Bijoux de complexité et d’ingéniosité avec ce monde aussi fictif et imprégné de vie, comme les hôtes, les deux premières saisons faisaient preuve d’une immense maîtrise narrative, et passer à une histoire linéaire, sans rien pour agrémenter l’expérience, c’était une source inévitable de déception. Le temps a passé, et sachant à quoi s’attendre, peut-on apprécier à la même hauteur cette suite ? Non, et la chute est définitivement rude.

Plus que jamais, l’histoire se focalise cette fois autour de Dolores, qui a donc réussi à quitter le parc, bien décidée de s’assurer de la sécurité des hôtes dans leur paradis. Mais effectivement, le reste du monde n’est clairement pas prêt à accepter l’existence d’hôtes éveillés et conscients, et une entité appelée Incite, dirigée dans l’ombre par un certain Serac (Vincent Cassel), veut mettre un terme à leur existence, ou alors les expulser dans une autre réalité totalement déconnectée de la leur. Il recrutera dans cet objectif Maeve, qui fera donc un pacte avec le diable pour retrouver sa fille. En parallèle, William tentera de refaire surface malgré les événements du parc et sa déconnexion avec la réalité, Chalotte / Dolores turbo apprendra à aimer une famille qui n’est pas la sienne, un certain Caleb Nichols (Aaron Paul) sera recruté par Dolores pour l’aider dans son plan, et enfin Bernard et Stubbs sont en vadrouille. Pas grand chose à dire sur le duo, très sympathique, mais totalement vide : toujours avec deux trains de retard, leur histoire restera toujours déconnectée des autres, ou les coupera brièvement pour aucun but, si ce n’est teaser la suite avec un voyage spirituel dont on ne saura rien. Mais dans les faits, toute leur intrigue n’apporte absolument rien à la saison, le délire schizophrène est poussif malgré tout le talent de son interprète, et c’est là l’un des gros point noir de cette saison.

Outre le fait qu’une fois passé l’admiration pour les nouvelles technologies et designs qui définissent cette vision du futur, somme toute assez cohérent et réaliste, le traitement laisse à désirer, surtout d’un point de vue philosophique, qui était pourtant jusqu’alors l’un des points les plus réussis. On nous explique que l’humanité est condamnée, mais que grâce à une succession de décisions liberticides, une IA, Réhoboam, a réussi à sauver la Terre entière de l’extinction et garanti une paix globale. Merveilleux ! Non, visiblement l’humain est un éternel insatisfait, il faudrait que tout le monde croule sous l’argent, la moindre personne en dessous d’un certain niveau serait une hérésie. Admettons, mais comment une espèce robotique pourrait valider cette vision communiste, sachant que le retour d’un libre-arbitre total (illusoire quand quasiment tout est joué à la naissance) impliquerait la fin de toute vie ? C’est stupide, et cela rend le personnage si charismatique d’Enguerand Serac si décevant : il n’est en rien un « méchant », son idéal est le plus juste.

On pourra aussi se montrer quelque peu déçu du traitement global de la saison, perdant toute l’ingéniosité des précédentes. Les histoires sont plus anarchiques, moins subtilement et magnifiquement entremêlées, et surtout la narration est totalement linéaire, aucun artifice ou idée folle pour renverser nos convictions à quelque moment que ce soit. Même les flashbacks autour du personnage de Caleb sont bidons, sans vrai enjeu ni révélation tonitruante, juste plat. Et à ce propos, Aaron Paul est assez décevant dans son rôle, faisant clairement tâche aux côtés des piliers de la série qui ont tant prouvé. C’est quand la série retourne dans de la fiction, dans une espèce de parc comme aux débuts, avec cette fois-ci une révolution française en pleine Seconde Guerre Mondiale, qu’elle retrouve toute sa brillance. Il est vrai que Maeve, Hector et Lee sont des plus attachants, mais la production vallues y est nettement supérieure, et le côté corrompu et nihiliste du futur ne fait pas rêver. Alors oui, la série est toujours très ambitieuse, quelques thèmes abordés font mouche, comme la crise identitaire de Charlotte absolument brillante, et on garde l’attachement émotionnel aux personnages, mais entre une narration trop linéaire (sacrifiée à cause de ceux se plaignant de la complexité ?) et une réflexion soit incomplète soit bancale, l’émerveillement s’estompe. On reste sur du haut niveau, mais la différence est plus que sensible, pour ne pas dire préoccupante.

Saison 3 :

Pour ce qui restera probablement à jamais la dernière saison malgré la volonté première de faire six saisons, puis cinq au vu de la popularité stagnante de la série, l’espoir était de mise tant les retours étaient bien meilleurs. Et il faut dire que d’emblée ce qui a fait la sève et le succès des deux premières saisons resplendi une fois de plus : la complexité. Les théories fusent à mesure que notre cerveau entre en ébullition, s’imaginant de multiples scénarios, qui se valideront ou surtout non. On retrouvera sept ans plus tard Maeve et Caleb, continuant à lutter contre Charlotte et sa nouvelle armée, qui a d’ailleurs trouvé un nouveau moyen pour arriver à ses fins avec un agent pathogène pour contrôler les humains, ou quand les rôles se retrouvent inversés. On suivra aussi Dolores, ou du moins ce qu’on pense être le noyau de celle qui avait lancé l’assaut sur Réhoboam, dans ce qui semble logiquement être une simulation, volontaire ou non, puisque Teddy – normalement dans l’autre monde – passera une tête dans le premier épisode, avant de revenir dans le quatrième épisode, amenant plus de questions que de réponses quand à la chronologie réelle des événements. Un casse-tête si réjouissant, à l’image du tandem Bernard / Stubbs dont le premier a semble-t-il vu toutes les réalités à venir en les simulant dans la « valley beyond », lui conférant un savoir proche de l’omniscience la plus spectaculaire. Enfin ! Et petite cerise sur le gâteau, les choses ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être, amenant un sacré plaisir lors des révélations.

Tout n’est pas revenu comme à l’âge d’or néanmoins, le nouveau parc est une fausse bonne idée, singeant à nouveau sans la découverte frauduleuse de la seconde saison avec le parc samouraï plagiant honteusement le western. Et que dire de l’escapade de Caleb et Maeve là bas ? Un beau gâchis, et rappelons le, le test de fidélité est une arnaque : un mort restera mort, et ce n’est pas une machine qui pourra le remplacer. Vis-à-vis des autres, potentiellement, mais vis-à-vis de l’humain mort, personne ne peut croire une seconde qu’une copie numérique pourrait capter l’âme du défunt, clairement pas concerné par une enveloppe corporelle factice. Et c’est d’ailleurs l’un des gros soucis de la philosophie développée par la série en général, que ce soit le test de fidélité ou le principe de se rappeler : l’individu premier est mort, fin du débat. Les enjeux s’en retrouvent amoindris, et on a du mal à comprendre certains choix, que ce soit le traitement de Caleb, inutile au possible malgré un vrai gap de jeu, devenant bien plus crédible de l’autre côté, ou surtout William. Quel intérêt de le garder en vie ? Tout ça n’apporte rien, et que ce soit du point de vue du spectateur ou des hôtes en eux-mêmes, l’association identitaire est un non sens.

En prenant un peu de recul, malgré toutes les bonnes idées, le constat est assez alarmant. Au final l’omniscience de Bernard trouve très vite des limites et n’aide pas vraiment, tout le nouveau monde est un immense gâchis, aucun camp n’y trouve son compte, et la boucherie finale est bien amère… Pourquoi avoir ramené Maeve d’ailleurs ? Alors que la construction temporelle de cette dernière saison est enfin au niveau des deux premières, que l’ambition visuelle est monumentale, avec des décors fous, des designs incroyables et un travail sur le son ahurissant, le nihilisme de l’ensemble est terrible. Surtout que le retour de Dolores n’en est pas un, c’est encore du souvenir, et on ne voit pas en quoi son plan pourrait apporter quoi que ce soit s’il ne reste personne. Les parcs rappelaient les péchés des hommes, leurs bas instincts, avec donc tout ce qui est plaisirs allant avec. La série s’est par la suite perdue, sombrant dans un fatalisme morbide, saccageant son propre univers, ses personnages, sans la moindre finalité. Oui, la fin apporte quelques frissons, mais ce sont surtout ceux des souvenirs des deux premières saisons, qui gardaient cet espoir de rébellion mêlé à une cohabitation / alliance, oublié en cours de route. Le savoir-faire est indéniable, le casting toujours impeccable et la production n’a pas lésiné sur les moyens, mais l’histoire est parti dans une direction trop sombre, trop fataliste voir détestable.

Saison 4 :

Peut-être est-ce une impression personnelle, mais j’ai le sentiment que l’histoire s’est perdue en cours de route, surtout en fin de saison 3 et 4, dans la conclusion de leurs arcs narratifs. L’idée était peut-être ancrée comme à ce point nihiliste d’emblée, mais son évolution m’a profondément déçu, et la sortie du parc a marqué le début de la fin malgré des idées de design, tant visuelles que sonores, absolument dingues. Y aura-t-il un jour une conclusion à cette histoire ? Saura t-elle me réconcilier avec la série dans son ensemble ? Les créateurs ont encore affirmé en avril 2024 que la fin se fera un jour, potentiellement grâce à Amazon et l’immense succès de la série Fallout, mais il faut rappeler que si Jonathan Nolan la réalise, il n’en est pas l’auteur, et sa femme n’a aucune participation au projet, donc l’impact de son succès n’aura probablement aucune incidence. L’envie d’offrir une conclusion à la série n’a donc que peu de chances d’arriver, et vu la direction de l’ensemble, ce n’est peut-être pas tant un mal, même si je resterais curieux de voir si la lumière se trouvait au bout du tunnel. Un jour peut-être, mais en attendant je garderais précieusement mes souvenirs des deux premières saisons au parc, l’une des expériences les plus enrichissantes et mémorable de ma vie de cinéphile.

Et soudain l’illumination. Alors que j’ai à nouveau dévoré les deux premières saisons en seulement dix jours, puis plus de deux semaines pour revoir la troisième, la découverte de la quatrième fut compliquée. Le choc de fin d’épisode 4 m’a prit deux semaines à être digéré, pareil pour la direction prise avec l’épisode 5, donc j’ai mis au final plus de deux mois à regarder la dernière saison. Après avoir laissé un peu de temps à l’ensemble pour maturer, j’ai eu plusieurs théories, et j’ai en quelques sorte fait mon « Sublime » dans mon esprit, analysant toutes les convergences possibles, ce que le fameux « test final » pourrait donner. Et oui, il y a définitivement une possibilité, applicable d’emblée même : et si tout se passait depuis les prémices dans l’esprit de Dolores ? Et si elle avait absolument tout calculé dès le début ? Après tout, son test final vise à se rappeler, donc il est probable qu’on aurait revu toutes les têtes connues, et le but aurait été de trouver un chemin de rédemption pour l’humanité où les péchés n’aurait pas poussé les hôtes à devenir hostiles, puis renverser carrément la situation par la suite.

J’imagine alors que toutes les quatre première saisons auront été une projection brute du cours des choses, et que le test visera à déterminer quels choix apporter au monde pour en éviter une telle issue. Car après tout, le parc aura été un des éléments clés, montrant le pire de l’humanité aux hôtes, donc on peut imaginer une version plus réaliste, moins toxique du parc, où le meurtre est jugé avec la même sévérité qu’en dehors, que ce soit pour les humains ou les hôtes, et que le but sera le dépaysement, retrouver des valeurs d’antan, des missions scénarisées : de la quête d’aventure, mais sans la violence, le meurtre ou les viols. Relations, potentiellement oui, mais consenties. Et en voyant que cela peut marcher, Dolores se réveillera, en compagnie de nulle autre que Arnold, puisque tout cela aura été une projection remontant à aussi loin. Un twist colossal qui pourrait survenir en toute fin d’avant-dernier épisode, laissant un dernier pour montrer ce que devient le parc, le monde, avec cette cohabitation pacifique et épanouissante pour tous. Cela rendrait les morts gâchées de la dernière saison moins frustrantes, car la résultante de la pire version possible de notre futur, avec à la clé un message beau et fort : ne pas céder à la fatalité, il faut savoir changer les choses à temps et œuvrer pour un monde meilleur. Voilà qui réhabiliterait fortement l’intérêt des saisons 3 et 4, sorte de transition obligatoire, visite au purgatoire, avant le réveil final. A défaut d’une vraie fin, c’est donc la voie que je choisi de croire, car elle ferait sens avec le mantra de l’héroïne : « I choose to see beauty », refusant de céder face à la noirceur du monde pour se concentrer sur ce qui en fait la beauté.

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Le Secret de Brokeback Mountain


Le Secret de Brokeback Mountain
2006
Ang Lee

Grand classique du cinéma, je suis passé à côté pendant près d’une décennie, la faute à une certaine étroitesse d’esprit : une histoire d’amour homosexuelle peut-elle réellement me parler si je ne partage pas les mêmes attirances ? Eh bien avec les années, je me suis rendu compte que je tolérais bien les bobos gauchiasses sur YouTube ou que je pouvais apprécier le travail d’artistes ô combien détestables dans la vraie vie, donc après tout pourquoi pas. Surtout que le parcours du film a de quoi forcer le respect : une pléthore de prix et nominations dans toutes les principales catégories de toutes les prestigieuses cérémonies, des retours dithyrambiques, et un succès en salle peu commun, avec près de 177 M$ dans le monde avec une longévité comme on en voit pas deux par décennie.

L’histoire prend place en 1963 aux Etats-Unis, alors que Ennis Del Mar (Heath Ledger) et Jack Twist (Jake Gyllenhaal) sont engagés pour l’été à surveiller le bétail d’un important éleveur possédant plusieurs milliers de bêtes et craignant les attaques de prédateurs. Plusieurs mois durant à braver le froid, les tempêtes et l’ennui : voilà qui rapproche les gens, voir éveiller en eux des choses qu’ils ne pensaient pas avoir. Simple moment d’égarement le temps d’un été ? Quatre ans plus tard, les deux hommes se sont chacun rangé, ayant tous deux épousé une femme (Michelle Williams et Anne Hathaway respectivement), mais quand l’heure des retrouvailles va sonner, des sentiments plus profonds vont resurgir.

Plus qu’une histoire d’amour, c’est aussi un témoignage d’une époque, d’une mentalité. Si aujourd’hui l’homosexualité n’est ni un tabou ni un crime, il n’y a pas si longtemps, les choses étaient bien différentes, et au moindre risque d’ébruitement, on risquait sa vie. Un danger palpable, rendant toute pulsion irrémédiablement refoulée, avec la frustration voir la dépression qui en découle. Les années filent et se ressemblent, avec de trop rares moments de bonheur, à se voiler, se cacher le reste du temps, gardant avec soi cette souffrance. Les acteurs sont prodigieux, arrivant à véhiculer tellement d’émotion sans le moindre mot, avec une mention spéciale pour le regretté Heath Ledger qui avait un talent ahurissant, capable d’une justesse inouïe dans tous les registres. On notera également les présences de Anna Faris, David Harbour et Kate Mara.

Il faut bien sûr parler des décors, de cette Amérique profonde, ce retour au sauvage qui permet d’éveiller sa vraie nature. La mise en scène arrive à rendre intimiste des immenses panoramas, montrant que malgré un monde si vaste, ce qui importe c’est avec qui on arpente cette Terre. Le choix d’étaler sur plusieurs décennies l’histoire pose en revanche deux problèmes : ne pas voir la situation évoluer rend communicante la frustration des protagonistes, et le maquillage est trop effacé, voir raté. A aucun moment on ne croit que les acteurs ont prit 20 ans, au point que quand la fille arrive sur la vingtaine à la fin, on dirait qu’elle a presque le même âge que son père. C’est le seul point qui m’aura déçu, sinon tout le reste est d’une grande maîtrise, avec des personnages forts, attachants et très bien écrits. Si la nostalgie nous gagne quand on regarde en arrière, voilà un des rares exemples positifs de notre société moderne.

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Boy Erased


Boy Erased
2019
Joel Edgerton

Connaissez-vous les centres de reconversion ? Non non, rien à voir avec une reconversion professionnelle, il s’agit ici d’une reconversion de préférence sexuelle, sous tutelle religieuse. Cela ne concernera bien évidemment pas les prêtres et leurs passions pour les jeunes enfants, mais bien les enfants et leurs aspirations, concrètes ou non, pour ce qui ne serait pas correct vis à vis d’une vision primaire des textes religieux, en l’occurrence la bible.

On suivra donc Jared (Lucas Hedges), un jeune étudiant qui se fera violer par un camarade de chambre, réveillant en lui des pulsions qu’il ne pensait pas avoir, et qu’il ne va clairement pas assumer face à un mère conservatrice (Nicole Kidman) et surtout un père pasteur (Russel Crowe) pour qui toute notion d’homosexualité est une hérésie contre nature, l’œuvre du mal qu’il faut réprimer au plus fort. Jared va donc accepter de se rendre dans un camp de conversion pour devenir un bon hétéro comme il se doit.

Dans une époque où il n’existe plus assez de lettres pour définir toutes les aspirations potentielles avec les LGBTQIAW+, l’idée de voir un film sur cette pensée à contre courant totale a de quoi rendre curieux. L’attirance est-elle réellement une question de choix ? Un tel camp peut-il avoir un quelconque bienfait ? Eh bien le film est une réponse quasi parfaite aux changements de sexe chez les mineurs : tout cerveau trop jeune qu’on pousse dans un sens opposé ne peut qu’exploser. Comment reformater des jeunes qui ne savent même pas eux-mêmes qui ils sont ? D’un certain côté, c’est peut-être justement l’âge où ils sont le plus manipulables, mais à quel prix ? Pour ceux qui ont en horreur les bondieuseries, on est servi : des tarés lobotomisés qui ne savent rien d’autre que réciter des passages de la bible, se faisant passer pour des sages alors que leurs actions ne sont qu’ignorance, cruauté et rejet. Il était évident que de tels camps sont une hérésie, mais comme certains qui se fascinent de voir le monde sombrer, voir un tel niveau de connerie est hypnotisant. Le casting est parfait dans le genre, on y croit fort, d’autant qu’on se rend compte au final que l’histoire est inspirée de faits réels. Il faut savoir remettre l’église au milieu du village et se rappeler que rien n’est plus nocif que la religion poussée à son extrême.

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La Fracture


La Fracture
2020
Brad Anderson

Vendu par Netflix eux-mêmes comme étant dans la veine de Shutter Island, cela mettait quelque peu la barre haut, voir pouvait vendre la mèche quant aux tenants et aboutissants de l’intrigue, le concept étant peu ou prou le même : un mystère sur lequel enquêter, mettant continuellement les protagonistes dans le doute, à savoir si tout est réel, le fruit d’une immense conspiration, ou la résultante d’une folie.

De retour de Thanksgiving de chez ses parents avec sa femme et sa fille, Ray Monroe (Sam Worthington) va s’arrêter dans une station service pour prendre un café et permettre à sa fille d’aller faire une pause toilettes. Et soudain, c’est le drame. Un chantier, un chien effrayant et une petite fille trop curieuse : Ray va tenter de s’interposer, plonger pour la sauver d’un chute périlleuse. Blessé à la tête, il va reprendre connaissance aux côté de sa fille blessée, qu’il va amener au plus vite aux urgences hospitalières, s’inquiétant d’un possible traumatisme crânien. Pourtant, après plusieurs heures à attendre son retour d’un supposé scan, rien. Sa femme et sa fille ont disparu. Pire, tout le personnel semble de mèche pour nier en bloc l’arrivée première de sa famille.

Plus qu’une inspiration, le film est un quasi plagiat de Shutter Island, à ceci près que le budget est bien moindre. Casting moins prestigieux donc, et on troquera l’île isolée pour de la campagne bien moins singulière. Reste ce fameux sous-sol, mystère qui maintiendra longtemps le suspens. Car oui, les enjeux restent les mêmes : découvrir la vérité. Et il faut bien dire que les pistes sont nombreuses, palpitantes, et je me suis totalement laissé prendre, tantôt par de pistes trop évidentes que j’ai voulu éluder, tantôt par l’envie de voir une conspiration terrible éclater en plein jour. Car oui, et c’est là un excellent point : les forces de l’ordre vont très vite rentrer en jeu, offrant un véritable support au héros, nous rassurant sur une possible justice, quelque que soit l’issue. Après, avec le recul, c’est plus ma propre imagination qui a fait exister le mystère, car le film est plutôt platement prévisible, voir sabordé tant il en révèle trop. J’ai voulu trop en voir, mais ça n’en reste pas moins efficace. Un sous Shutter Island, pas honteux, mais il est vrai que la différence de niveau est assez massive.

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Pas trop tôt


Pas trop tôt
2023
Alessandro Aronadio

Vous souvenez-vous de Click : Télécommandez votre vie ? Eh bien je dois être une des rares personnes à défendre le film, qui derrière une finesse inexistante et un humour lourd au possible, cachait une réelle vision de cinéma avec une émotion forte, où j’avais carrément lâché ma petite larme à la fin. Il faut en revanche avouer, même si un revisionnage serait pertinent, que le sujet aurait pu tellement mieux être traité. Voilà cela chose faite avec ce film italien, y mêlant un peu de Un Jour sans fin pour un résultat impressionnant.

Dante (Edoardo Leo) fête tout juste ses 40 ans, filant le parfait amour avec sa moitié, Alice (Barbara Ronchi). Maison et vie opulente, travail gratifiant et salaire imposant, et sa compagne qu’il chéri, là pour l’accueillir et l’aimer chaque jour. Son seul problème, c’est de ne pas avoir assez de temps pour en profiter. Il va donc faire le vœu d’avoir plus de temps, mais c’est exactement le contraire qui va se passer : à chaque réveil ou moment d’absence, une année entière va s’écouler, reprenant ses esprits quelques heures par an à son anniversaire, subissant un temps effréné sans aucun contrôle dessus.

Voilà qui est juste brillant, rappelant un peu le traitement de dissonance de l’excellent Mirage : rejetant d’abord cet écart de réalité avec les autres, ici des bonds temporels intempestifs, le héros va peu à peu apprendre à faire face à cette nouvelle réalité, pour en tirer des enseignements, tenter de comprendre le message de la vie, et faire face à l’adversité. On tient là une métaphore d’une rare justesse du temps qui passe, inexorable et implacable, des contradictions de chacun, et l’obligation de faire face à ses propres choix, mais aussi ceux des autres. En y mêlant une touche de fantastique, le film trouve là l’axe absolu pour une fresque de vie sur la perte d’insouciante, le passage d’homme ne vivant que pour lui, même sans s’en rendre compte, à celui d’un homme sage, humble, vivant pour et avec les autres. Le casting est absolument dantesque, on a rarement vu autant d’émotion passer en un regard, le côté chantant de l’italien renforce d’autant plus cette dissonance entre aspiration et réalité. Une immense justesse d’écriture, de mise en scène (mon dieu l’inventivité des transitions temporelles !) et de performance. Il manque juste un peu plus de surprises quant au déroulé de l’intrigue, voir de son final à l’inspiration trop marquée, ce qui l’aurait définitivement ancré au panthéon, mais la claque reste mémorable et on tient là assurément une œuvre aussi belle qu’intelligente. Il ne faut pas courir après le temps, mais apprendre à le contempler.

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