Le Secret de Brokeback Mountain


Le Secret de Brokeback Mountain
2006
Ang Lee

Grand classique du cinéma, je suis passé à côté pendant près d’une décennie, la faute à une certaine étroitesse d’esprit : une histoire d’amour homosexuelle peut-elle réellement me parler si je ne partage pas les mêmes attirances ? Eh bien avec les années, je me suis rendu compte que je tolérais bien les bobos gauchiasses sur YouTube ou que je pouvais apprécier le travail d’artistes ô combien détestables dans la vraie vie, donc après tout pourquoi pas. Surtout que le parcours du film a de quoi forcer le respect : une pléthore de prix et nominations dans toutes les principales catégories de toutes les prestigieuses cérémonies, des retours dithyrambiques, et un succès en salle peu commun, avec près de 177 M$ dans le monde avec une longévité comme on en voit pas deux par décennie.

L’histoire prend place en 1963 aux Etats-Unis, alors que Ennis Del Mar (Heath Ledger) et Jack Twist (Jake Gyllenhaal) sont engagés pour l’été à surveiller le bétail d’un important éleveur possédant plusieurs milliers de bêtes et craignant les attaques de prédateurs. Plusieurs mois durant à braver le froid, les tempêtes et l’ennui : voilà qui rapproche les gens, voir éveiller en eux des choses qu’ils ne pensaient pas avoir. Simple moment d’égarement le temps d’un été ? Quatre ans plus tard, les deux hommes se sont chacun rangé, ayant tous deux épousé une femme (Michelle Williams et Anne Hathaway respectivement), mais quand l’heure des retrouvailles va sonner, des sentiments plus profonds vont resurgir.

Plus qu’une histoire d’amour, c’est aussi un témoignage d’une époque, d’une mentalité. Si aujourd’hui l’homosexualité n’est ni un tabou ni un crime, il n’y a pas si longtemps, les choses étaient bien différentes, et au moindre risque d’ébruitement, on risquait sa vie. Un danger palpable, rendant toute pulsion irrémédiablement refoulée, avec la frustration voir la dépression qui en découle. Les années filent et se ressemblent, avec de trop rares moments de bonheur, à se voiler, se cacher le reste du temps, gardant avec soi cette souffrance. Les acteurs sont prodigieux, arrivant à véhiculer tellement d’émotion sans le moindre mot, avec une mention spéciale pour le regretté Heath Ledger qui avait un talent ahurissant, capable d’une justesse inouïe dans tous les registres. On notera également les présences de Anna Faris, David Harbour et Kate Mara.

Il faut bien sûr parler des décors, de cette Amérique profonde, ce retour au sauvage qui permet d’éveiller sa vraie nature. La mise en scène arrive à rendre intimiste des immenses panoramas, montrant que malgré un monde si vaste, ce qui importe c’est avec qui on arpente cette Terre. Le choix d’étaler sur plusieurs décennies l’histoire pose en revanche deux problèmes : ne pas voir la situation évoluer rend communicante la frustration des protagonistes, et le maquillage est trop effacé, voir raté. A aucun moment on ne croit que les acteurs ont prit 20 ans, au point que quand la fille arrive sur la vingtaine à la fin, on dirait qu’elle a presque le même âge que son père. C’est le seul point qui m’aura déçu, sinon tout le reste est d’une grande maîtrise, avec des personnages forts, attachants et très bien écrits. Si la nostalgie nous gagne quand on regarde en arrière, voilà un des rares exemples positifs de notre société moderne.

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Boy Erased


Boy Erased
2019
Joel Edgerton

Connaissez-vous les centres de reconversion ? Non non, rien à voir avec une reconversion professionnelle, il s’agit ici d’une reconversion de préférence sexuelle, sous tutelle religieuse. Cela ne concernera bien évidemment pas les prêtres et leurs passions pour les jeunes enfants, mais bien les enfants et leurs aspirations, concrètes ou non, pour ce qui ne serait pas correct vis à vis d’une vision primaire des textes religieux, en l’occurrence la bible.

On suivra donc Jared (Lucas Hedges), un jeune étudiant qui se fera violer par un camarade de chambre, réveillant en lui des pulsions qu’il ne pensait pas avoir, et qu’il ne va clairement pas assumer face à un mère conservatrice (Nicole Kidman) et surtout un père pasteur (Russel Crowe) pour qui toute notion d’homosexualité est une hérésie contre nature, l’œuvre du mal qu’il faut réprimer au plus fort. Jared va donc accepter de se rendre dans un camp de conversion pour devenir un bon hétéro comme il se doit.

Dans une époque où il n’existe plus assez de lettres pour définir toutes les aspirations potentielles avec les LGBTQIAW+, l’idée de voir un film sur cette pensée à contre courant totale a de quoi rendre curieux. L’attirance est-elle réellement une question de choix ? Un tel camp peut-il avoir un quelconque bienfait ? Eh bien le film est une réponse quasi parfaite aux changements de sexe chez les mineurs : tout cerveau trop jeune qu’on pousse dans un sens opposé ne peut qu’exploser. Comment reformater des jeunes qui ne savent même pas eux-mêmes qui ils sont ? D’un certain côté, c’est peut-être justement l’âge où ils sont le plus manipulables, mais à quel prix ? Pour ceux qui ont en horreur les bondieuseries, on est servi : des tarés lobotomisés qui ne savent rien d’autre que réciter des passages de la bible, se faisant passer pour des sages alors que leurs actions ne sont qu’ignorance, cruauté et rejet. Il était évident que de tels camps sont une hérésie, mais comme certains qui se fascinent de voir le monde sombrer, voir un tel niveau de connerie est hypnotisant. Le casting est parfait dans le genre, on y croit fort, d’autant qu’on se rend compte au final que l’histoire est inspirée de faits réels. Il faut savoir remettre l’église au milieu du village et se rappeler que rien n’est plus nocif que la religion poussée à son extrême.

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La Fracture


La Fracture
2020
Brad Anderson

Vendu par Netflix eux-mêmes comme étant dans la veine de Shutter Island, cela mettait quelque peu la barre haut, voir pouvait vendre la mèche quant aux tenants et aboutissants de l’intrigue, le concept étant peu ou prou le même : un mystère sur lequel enquêter, mettant continuellement les protagonistes dans le doute, à savoir si tout est réel, le fruit d’une immense conspiration, ou la résultante d’une folie.

De retour de Thanksgiving de chez ses parents avec sa femme et sa fille, Ray Monroe (Sam Worthington) va s’arrêter dans une station service pour prendre un café et permettre à sa fille d’aller faire une pause toilettes. Et soudain, c’est le drame. Un chantier, un chien effrayant et une petite fille trop curieuse : Ray va tenter de s’interposer, plonger pour la sauver d’un chute périlleuse. Blessé à la tête, il va reprendre connaissance aux côté de sa fille blessée, qu’il va amener au plus vite aux urgences hospitalières, s’inquiétant d’un possible traumatisme crânien. Pourtant, après plusieurs heures à attendre son retour d’un supposé scan, rien. Sa femme et sa fille ont disparu. Pire, tout le personnel semble de mèche pour nier en bloc l’arrivée première de sa famille.

Plus qu’une inspiration, le film est un quasi plagiat de Shutter Island, à ceci près que le budget est bien moindre. Casting moins prestigieux donc, et on troquera l’île isolée pour de la campagne bien moins singulière. Reste ce fameux sous-sol, mystère qui maintiendra longtemps le suspens. Car oui, les enjeux restent les mêmes : découvrir la vérité. Et il faut bien dire que les pistes sont nombreuses, palpitantes, et je me suis totalement laissé prendre, tantôt par de pistes trop évidentes que j’ai voulu éluder, tantôt par l’envie de voir une conspiration terrible éclater en plein jour. Car oui, et c’est là un excellent point : les forces de l’ordre vont très vite rentrer en jeu, offrant un véritable support au héros, nous rassurant sur une possible justice, quelque que soit l’issue. Après, avec le recul, c’est plus ma propre imagination qui a fait exister le mystère, car le film est plutôt platement prévisible, voir sabordé tant il en révèle trop. J’ai voulu trop en voir, mais ça n’en reste pas moins efficace. Un sous Shutter Island, pas honteux, mais il est vrai que la différence de niveau est assez massive.

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Pas trop tôt


Pas trop tôt
2023
Alessandro Aronadio

Vous souvenez-vous de Click : Télécommandez votre vie ? Eh bien je dois être une des rares personnes à défendre le film, qui derrière une finesse inexistante et un humour lourd au possible, cachait une réelle vision de cinéma avec une émotion forte, où j’avais carrément lâché ma petite larme à la fin. Il faut en revanche avouer, même si un revisionnage serait pertinent, que le sujet aurait pu tellement mieux être traité. Voilà cela chose faite avec ce film italien, y mêlant un peu de Un Jour sans fin pour un résultat impressionnant.

Dante (Edoardo Leo) fête tout juste ses 40 ans, filant le parfait amour avec sa moitié, Alice (Barbara Ronchi). Maison et vie opulente, travail gratifiant et salaire imposant, et sa compagne qu’il chéri, là pour l’accueillir et l’aimer chaque jour. Son seul problème, c’est de ne pas avoir assez de temps pour en profiter. Il va donc faire le vœu d’avoir plus de temps, mais c’est exactement le contraire qui va se passer : à chaque réveil ou moment d’absence, une année entière va s’écouler, reprenant ses esprits quelques heures par an à son anniversaire, subissant un temps effréné sans aucun contrôle dessus.

Voilà qui est juste brillant, rappelant un peu le traitement de dissonance de l’excellent Mirage : rejetant d’abord cet écart de réalité avec les autres, ici des bonds temporels intempestifs, le héros va peu à peu apprendre à faire face à cette nouvelle réalité, pour en tirer des enseignements, tenter de comprendre le message de la vie, et faire face à l’adversité. On tient là une métaphore d’une rare justesse du temps qui passe, inexorable et implacable, des contradictions de chacun, et l’obligation de faire face à ses propres choix, mais aussi ceux des autres. En y mêlant une touche de fantastique, le film trouve là l’axe absolu pour une fresque de vie sur la perte d’insouciante, le passage d’homme ne vivant que pour lui, même sans s’en rendre compte, à celui d’un homme sage, humble, vivant pour et avec les autres. Le casting est absolument dantesque, on a rarement vu autant d’émotion passer en un regard, le côté chantant de l’italien renforce d’autant plus cette dissonance entre aspiration et réalité. Une immense justesse d’écriture, de mise en scène (mon dieu l’inventivité des transitions temporelles !) et de performance. Il manque juste un peu plus de surprises quant au déroulé de l’intrigue, voir de son final à l’inspiration trop marquée, ce qui l’aurait définitivement ancré au panthéon, mais la claque reste mémorable et on tient là assurément une œuvre aussi belle qu’intelligente. Il ne faut pas courir après le temps, mais apprendre à le contempler.

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Nowhere


Nowhere
2023
Albert Pintó

Héritier des films de survie à la Seul au monde, Gravity et autre Au Cœur de l’océan, cette production Netlfix va nous placer littéralement au milieu de nulle part, en pleine mer. On y suivra Nada, visiblement une jeune palestinienne (seul nationalité possible pour avoir en face du massacre de masse, il n’y a dans le monde actuel qu’Israël pour abattre femmes et enfants sans sommation comme dans le film), cherchant par tous les moyens de quitter son pays pour survivre. Elle sera malheureusement séparée de son mari dès la première étape de son exil, avant d’enchaîner les drames dans son périple, jusqu’à se retrouver seule dans un container dérivant au milieu de l’eau. Pire, elle est bientôt au terme de sa grossesse.

Si on regrette le manque de contexte du film (où se déroule l’action ? Pourquoi parlent-ils espagnol alors qu’aucun pays hispanique ne subit un tel massacre de masse ? Quel genre d’abonnement téléphonique passe si facilement les frontières, capte dans une cage de Faraday et même au milieu de l’océan ?), cassant un peu l’immersion par quelques soucis de crédibilité, et si on passe outre le fait que des dizaines de films ont déjà abordé le thème de la survie sur l’eau, le film est une vraie réussite. Entre chance et talent, l’héroïne fait preuve d’un grand sens de la débrouillardise et d’une motivation sans failles à défaut d’être d’une ingéniosité exemplaire. Si on fait abstraction de la grossesse, dans toute autre situation l’envie de se mettre une caisse avec tant d’alcool aurait primé sur bien d’autres priorités, mais difficile d’excuser la non réflexion à la Elizabeth Swann : avec tant d’alcool et de vêtements, un feu aurait à coup sûr permis d’attirer l’attention. Mais il faut avouer que bien d’autres idées m’ont agréablement surpris, et globalement tout sert parmi les produits randoms des caisses présentes dans le container. Entre rebondissements et nouvelles idées, le rythme est maîtrisé, et si la situation reste moins extrême que certains des exemples cités plus haut, la comparaison n’a rien de honteuse. Une bonne surprise en somme, qui ravira les amateurs du genre.

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Une seconde chance


Une seconde chance
2015
Michael Hoffman

Sans aller jusqu’à dire que j’ai une dent contre Nicholas Sparks, il faut bien dire que la plupart des adaptations de ses romans ne sont pas des plus remarquables, ou alors pour de mauvaises raisons, de choix douteux ou d’écriture parfois problématique. Eh bien ici on tient probablement le meilleur cas d’école du film – et donc du livre ? – le plus mal écrit de toute l’histoire de l’humanité, le genre de ratage si lamentable qu’il en devient un objet d’étude fascinant.

Ils se sont aimés, le destin les a séparé, pour mieux les faire se retrouver ? Non. Dans leur jeunesse, Amanda (Liana Liberato puis Michelle Monaghan) et Dawson (Luke Bracey puis James Marsden) ont vécu un grand amour, mais après 21 ans sans se voir, à vivre des vies chacun de leur côté, leur ange gardien de l’époque va à nouveau les réunir. Mais il ne faut jamais oublier que le destin est une petite salope sadique…

Allons-y gaiement sur les spoils, car de toutes façons disons les choses comme elles sont : le film est une merde infame, et il faut détailler les tenants et aboutissants pour comprendre à quel point le plantage est ahurissant. Déjà le principe de la « seconde chance » est toujours un peu une erreur, car voir des gens qui s’aiment ayant vécu des demies vies en attendant d’enfin se retrouver, c’est tout de même sacrément frustrant. Mais bon, que le père d’adoption vienne une nouvelle fois en aide à sa brebis galeuse à titre posthume par testament, donnant l’occasion à deux personnes de se retrouver et de revoir les lieux où s’est épanoui leur amour d’antan, c’est mignon. Mais déjà vient un sacré problème : justifier leur séparation de l’époque. On se doutait que le père violent allait revenir pour poser problème, mais que ce dernier tue le meilleur ami, que le fils écope de huit ans de prison à cause de celui qui a détruit son enfance, c’est quand même sacrément dégueulasse quand tout le développement du personnage était de réussir à se reconstruire malgré une famille toxique, et que cette toxicité mette littéralement une barrière entre lui et son bonheur, et que ce con va laisser filer l’amour de sa vie pour lui éviter de perdre quelques années à l’attendre. Mais pauvre con, elle aura passer 21 ans au final à attendre ! Et ce n’était là que le début…

Vient alors la reprise de leur histoire au présent, et là encore, tout ce qui est développé part dans le vent, n’a aucun sens ou développe du pathos minable qui n’a eu aucune évolution psychologique. Ils se retrouvent, ils s’aiment à nouveau, et enfin ils vont pouvoir vivre pleinement leur amour. Vraiment ? NON. Alors que Amanda a le courage de revendiquer son amour de jeunesse plus actuel que jamais face à un mari démissionnaire, entamant donc une procédure de séparation / divorce, que Dawson est lui aussi prêt à affronter ses démons en avouant sa charité à la veuve de son meilleur ami et en sauvant leur fils des griffes du gang de son père, tout va déraper. Le fils qu’aura eu Amanda avec sa vie par défaut sans Dawson, va avoir un accident à cinq minutes de la fin, nécessitant une greffe de cœur, et c’est Dawson qui le lui donnera. PARDON ???!!! Eh oui petite pute de vie, alors que tout le film a servi à développer une romance, que tous les parcours émotionnels et psychologiques des personnages ont servi à se libérer de leurs problèmes pour être enfin ensemble, le héros va mourir, abattu de surcroît par nulle autre que son père, le même qui avait pour enjeu personnel que d’obtenir vengeance pour cette ordure qui l’aura pourri jusqu’à littéralement la mort, l’empêchant de connaître le bonheur avec son grand amour. Tout ça pour une greffe dont l’enjeu n’est survenu qu’une seule scène plus tôt, une poignée de secondes avant. C’est ce qu’on appelle flinguer tout ce qui a été développé, réduire à néant toute progression dramatique et enjeux / évolution des protagonistes. Un sabordage historique, d’un degré de bêtise qui laisse sans voix. Ou plutôt si, l’envie de hurler au scandale, à la fraude intellectuelle, à l’arnaque artistique de mes douloureuses valseuses qu’on aura salement broyé. Monde de merde ! Film de merde ! Auteur de merde ! Le nihilisme à son paroxysme : rien ne sert à rien dans la vie, toute forme de but est illusoire. Une pure perte de temps, si honteux qu’on aura du mal à y croire.

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Une vie inachevée


Une vie inachevée
2006
Lasse Hallström

Vague souvenir que de ce film, découvert peu après sa sortie il y a pratiquement 20 ans, gardant à l’esprit un grand film, au casting incroyable, histoire touchante et décors somptueux de l’Amérique profonde. Quelle ne fut pas ma surprise en voulant écrire la critique du film, toujours aussi bon avec les années, qu’il fut largement assassiné par tous à l’époque, et se solda par un bide assez tonitruant au box-office (18 M$ dans le monde, le quart de ce qu’il aurait dû faire pour atteindre le rentabilité). Pourquoi un rejet si massif ?

Veuve depuis plus de 12 ans, Jean (Jennifer Lopez) avait refait sa vie avec un homme, mais violent, même avec sa fille, la poussant à fuir. Ne sachant vers qui se tourner, elle ira se cacher chez son ancien beau-père (Robert Redford), père de son premier mari avec qui elle a eu sa fille. Ce dernier, vivant en ermite avec pour seul compagnie son vieil ami et voisin infirme (Morgan Freeman), ne va pas voir son arrivée d’un bon œil, la tenant responsable de la mort de son fils.

Effectivement, si on doit bien reprocher au film quelque chose, c’est qu’il ne raconte à première vue pas grand chose. « Juste » une femme battue devant, par la force des choses, renouer avec un passé qu’elle a fuit. Pas de vraie ligne directrice, d’intrigue principale, mais des personnages forts, tous avec des blessures, et qui devront apprendre à les surmonter. Des destins brisés, se reconstruisant ensemble. Ce n’est peut-être ni original ni très joyeux, mais c’est du mélo prenant, aux personnages attachants et bien écrits. Les décors ruraux font la part belle aux grands paysages majestueux, donnant une esthétique western moderne très réussie. Une belle sincérité et authenticité se dégage de l’ensemble, et si certains pourraient trouver qu’il ne se passe « pas grand chose », c’est faire l’impasse sur la construction narrative des protagonistes, qui justifient à eux seuls le film. Une belle fable de l’homme et l’ours, métaphore de la nature, de l’homme, du sens de la vie. Pas à chier une pendule : les gens sont cons, le film est beau.

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Man on Fire


Man on Fire
2004
Tony Scott

Considéré comme un classique du genre, le film ne m’avait pourtant laissé aucun souvenir à l’époque, mais les goûts peuvent changer avec le temps, bien que ce soit plutôt dans l’autre sens (j’ai beaucoup plus d’exemples de films que je ne sais plus apprécier avec l’âge que d’autres que j’ai appris à aimer avec le temps). Et malheureusement, qui dit classique dit moult inspirations et héritiers, dont la plupart ont ringardisé et éclipsé le modèle.

Alcoolique dépressif, Creasy (Denzel Washington) sera invité par son ancien camarade d’armée (Christopher Walken) à Mexico où un couple de bourgeois (incluant Radha Mitchell) souhaite faire appel à un homme compétent pour assurer la sécurité de leur fille (Dakota Fanning). Après quelques mois de tranquillité à retrouver goût à la vie et à s’attacher à la petite, cette dernière sera justement ciblée par des kidnappeurs, mais face à la complicité de ripoux et un trop grand nombre de ravisseurs, Creasy va échouer dans sa mission. Se réveillant quelques jours plus tard suite à ses blessures lors de l’agression, il va découvrir horrifié que l’échange de rançon s’est mal passé et la petite a été tuée. Il n’aura alors plus qu’une idée en tête : déchaîner toute sa rage, torturer et massacrer chaque personne un tant soit peu responsable de la tragédie.

Le film est des plus mal équilibré. Le début est assez laborieux, voir ennuyeux en dehors de l’amitié naissante entre l’ancien soldat ravagé et la jeune fille pétillante. Il faudra pratiquement une heure entière pour que le « man » devienne « on fire », mais le film n’a alors plus aucun but. La vengeance ? A quoi bon si la fille est déjà morte ? Bien que la maladresse de la mise en scène qui passe sous silence ses enjeux les plus importants ne laisse que peu de place au doute, à moins d’une écriture vraiment lamentable. Alors oui, comme le film a prit beaucoup de temps pour instaurer l’attachement de Creasy et la fille, ses motivations sont légitimes, et on prend un certain plaisir à voir un homme dévasté qui n’a plus rien à perdre se lancer à corps perdu dans une chasse à l’homme expiatrice. Le film n’hésite pas à montrer une grande violence, mais impossible de ne pas penser à Taken tout du long tant la comparaison fait mal : 1h30 archi condensées, une bouffée d’adrénaline maximale avec une générosité sans pareille sur l’action, la tension, avec un but, pas une simple vengeance étalée sur pratiquement 2h30. Et pour ce qui est de l’horreur de Mexico, on a vu tellement pire dans Sound of Freedom que du simple kidnapping, avec tout juste quelques à côté mentionnés, qu’on aura du mal à sentir l’urgence de détruire le système. Il est d’ailleurs comique que de constater un remerciement à la ville de Mexico tant l’image qui en est faite dans ce film et dans le paysage cinématographique en général nous ramène inlassablement au trafic d’argent, de drogue, de personnes, avec toujours une misère omniprésente et des forces de l’ordre pourries jusqu’à la moëlle. Amusant également que le film ait choisi ce lieu plutôt que l’Italie – comme c’était le cas dans le roman d’origine – pour des raisons « d’originalité » tant avec le temps c’est devenu un cliché plus répandu encore.

Même en admettant que le film ait été un précurseur dans le genre, et en essayant de faire abstraction de tous ceux qui l’ont allégrement surpassé par la suite, le bilan reste très mitigé. Une introduction bien trop longue, des enjeux vite balayés, une vengeance dénuée de tout enjeu, pesant sur une écriture qui ne pouvait être que mauvaise (prévisible ou atroce). Quelques effets de réalisation sympathiques, une violence assez décomplexée et une forme de satisfaction de justice, mais ça reste un peu trop léger. Une histoire plate, trop de soucis de rythme et surtout une écriture problématique. Même avec toute la meilleure volonté du monde, c’est juste mauvais.

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Spenser Confidential


Spenser Confidential
2020
Peter Berg

Après de très fructueuses collaborations avec son acteur fétiche, qu’il retrouve une fois de plus évidemment, Peter Berg revient à sa spécialité : le grand spectacle, lui qui avait accouché du beau bordel aussi jouissif que récréatif Battleship. Cette fois il met à profit son savoir-faire pour le compte de Netflix, qui pour une fois rehausse sensiblement le niveau.

Trop c’est trop. Entre une affaire sur laquelle il bossait dur étouffée et une femme maltraitée, un beau jour Spenser (Mark Wahlberg) va décider de refaire le portait à son connard de patron, quand bien même il est un réputé chef de police. Un craquage qui lui vaudra ni plus ni moins que cinq ans de prison, et ce temps n’a visiblement pas du tout permis à la police de Boston de se remettre en question. Plus pourri que jamais, son ancien patron sera retrouvé mort, la tête tranchée, avec un autre ancien collègue s’étant apparemment « suicidé » la même nuit. Pas le temps de jouir de sa liberté retrouvée, son instinct d’inspecteur va prendre le dessus.

Je dois avouer que le film m’a surpris à plus d’un point, en bien. J’ai d’abord cru à un film tiré d’une série, ou d’une adaptation d’une saga littéraire tant le film possède un vrai univers avec des personnages intéressants, bien écrits, et avec un vraie richesse de fond omniprésente. Ca fourmille de détails de partout, tout est intéressant, développé et utile. Rien de fou ou tellement original, mais dans une aire de consommation et blockbusters décérébrés, voir une réelle écriture réfléchie et aboutie, c’est rare. Un mélange d’actionner ultra généreux des années 80 avec de l’enquête un peu à la Die Hard, où le héros est plus dans la réaction que la réflexion, ayant toujours deux trains de retard sur tout le monde, sorte de looser magnifique mais qui aura à la fois de la chance et un talent certain pour s’entourer de gens non moins chanceux mais surtout bien plus débrouillards. On pense notamment au personnage incarné par le colosse Winston Duke, sidekick aussi attachant qu’amusant, avec un style d’humour moins frontal que Spenser, donnant une belle variété de ton. Le rythme pâtit parfois un peu de la surabondance d’informations et dans les faits, hormis son axe du bon samaritain quelque peu débile compensant son cerveau par ses muscles qui a quelques idées novatrices, l’ensemble reste très classique. Mais je noterais en plus la fin, assez brillante dans le genre, sorte de parfaite synthèse de finesse d’écriture et d’efficacité comique. Une bien belle surprise donc.

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L’Amour en touriste


L’Amour en touriste
2023
Steven K. Tsuchida

Le cinéma vietnamien n’étant pas très développé, se rapatriant surtout sur le cinéma chinois, coréen ou américain, il donc très rare de voir autre chose qu’un énième film sur la guerre qui les a opposé aux USA de 1955 à 1975. Ayant moi-même fait du tourisme là bas et étant de surcroit marié avec une vietnamienne, le sujet ne pouvait que m’intéresser, l’occasion de revoir certains lieux qui avaient jalonné mon voyage.

On suivra une certaine Amanda (Rachael Leigh Cook), une américaine tout juste séparée de son conjoint, partant au Vietnam pour étudier l’éventualité du rachat d’une société de tourisme de Hô Chi Minh, dirigée par Sinh (Scott Ly), un homme passionné qui va bouleverser sa vie.

Il faut tout d’abord saluer la démarche que de mettre en avant un pays qui se limite quasi exclusivement à ses heures les plus sombres dans le paysage cinématographique, d’autant qu’on voit bien que tout a été filmé là où l’action est censée se dérouler. On reconnaît bien les endroits visités, et avec un point de départ à la capitale où je n’en ai vu que l’aéroport, je ne pensais pas que le suite allait m’amener sur les exacts mêmes sites touristiques, que ce soit Mỹ Sơn, Huế ou Da Nang, avec en prime quelques paysages du Nord qu’il me tarde de découvrir un jour. Seulement déjà deux points noirs sont à déplorer : le mensonge – par omission ou malhonnêteté – de la distance et la fréquentation. Dans le film, le voyage Hô Chi Minh – Da Nang semble être l’affaire de quelques heures, alors qu’en l’absence d’autoroute, le trajet prend en réalité une vingtaine d’heures, et dans le même ordre d’idée, il est préféré d’aller à Mỹ Sơn plutôt qu’aux Mains d’or pour cause de 3h de queue, alors même que c’est pratiquement le temps de route pour y aller depuis Da Nang. Pour ce qui est de la fréquentation, même hors saison les rues du quartier historique de Hội An sont constamment blindées, alors que dans le film les rues sont bien tranquilles, ce qui rajoute à l’effet carte postale un côté un peu mensonger.

Pour en revenir au film en lui-même, c’est assez pauvre : une banale romance archi classique et prévisible, rien de très passionnant. Que ce soit pour le scénario ou le côté touristique, tout est attendu, basique. On va dans les lieux les plus communs, connus, la mise en scène est tout juste passable, incapable de réellement mettre en valeur les paysages ou monuments, eh puis surtout le film est à l’image des voyages organisés : un grotesque marathon où l’on visite à la fois tout et rien. On passe rapidement d’un point A à un point B, avec plus de trajets que de temps sur place, ne montrant donc que le strict minimum, comme si on limitait Paris à la Tour Eiffel et que l’on faisait ça pour une dizaine de villes survolées. La culture culinaire n’est pratiquement pas évoquée, aucune pagode, rien sur l’histoire du pays, la faute à une introduction poussive et une romance à la fois expédiée et prenant trop de place. Expédiée pour son développement, mais étirée pour l’éveil des sentiments. Une romance ennuyeuse, mais qui aurait pu avoir plus de potentiel si le Sinh faisait moins métissé et plus local et que l’écriture soit moins classique, et le côté carte postal était gageur et reste dans les faits agréable, mais s’avère tout de même trop superficiel.

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